Verlaine, « Nuit du Walpurgis classique » dans Poèmes saturniens, recueil publié en 1866.
C'est plutôt le sabbat du second Faust
que l'autre,
Un rythmique sabbat, rythmique,
extrêmement
Rythmique. – Imaginez un jardin de
Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.
Des ronds-points ; au milieu, des jets
d'eau ; des allées
Toutes droites ; sylvains de marbre ;
dieux marins
De bronze ; çà et là, des Vénus étalées
;
Des quinconces, des boulingrins ;
Des châtaigniers ; des plants de fleurs
formant la dune ;
Ici, des rosiers nains qu'un goût docte
effila ;
Plus loin, des ifs taillés en
triangles. La lune
D'un soir d'été sur tout cela.
Minuit sonne, et réveille au fond du
parc aulique
Un air mélancolique, un sourd, lent et
doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et
mélancolique,
L'air de chasse de Tannhäuser.
Des chants voilés de cors lointains, où
la tendresse
Des sens étreint l'effroi de l'âme en
des accords
Harmonieusement dissonants dans
l'ivresse ;
Et voici qu'à l'appel des cors
Watteau, Études de soldats, sanguine, ENSBA. |
S'entrelacent soudain des formes toutes
blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l'ombre verte des
branches,
- Un Watteau rêvé par Raffet ! -
S'entrelacent parmi l'ombre verte des
arbres
D'un geste alangui, plein d'un
désespoir profond ;
Puis, autour des massifs, des bronzes
et des marbres,
Très lentement dansent en rond.
- Ces spectres agités, sont-ce donc la
pensée
Du poète ivre, ou son regret, ou son
remords,
Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts ?
Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur
qu'invite
L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée,
- hein ? - tous
Ces spectres qu'un vertige irrésistible
agite,
Ou bien des morts qui seraient fous ?
N'importe ! ils vont toujours, les
fébriles fantômes,
Menant leur ronde vaste et morne et
tressautant
Comme dans un rayon de soleil des
atomes,
Et s'évaporant à l'instant
Humide et blême où l'aube éteint l'un
après l'autre
Les cors, en sorte qu'il ne reste
absolument
Plus rien – absolument – qu'un jardin
de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.
Correct, ridicule et charmant.
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