Mordecai Richler, Solomon Gursky, traduit de l’anglais par
Lori Saint-Martin et Paul Gagné, parution originale 1989, édité en France aux
Éditions du sous-sol.
Énorme !
Tout commence avec Ephraïm Gursky
qui surgit sur un traîneau à chiens un hiver de 1851 dans un village du Canada.
On relève ensuite quelques étonnantes traces hébraïques chez les Inuits et puis
dans les années 1970 on suit Moses Berger, alcoolique et fasciné par la figure
de Solomon Gursky (le petit-fils d’ephraim).
« C’est comment, la Sibérie ? lui demanda un jour Moses.
- Comme le Canada, répondit Shloime en haussant les épaules. Qu’est-ce que tu crois ? »
Pour eux, le Canada n’était pas encore un pays ; il s’agissait plutôt d’une sorte d’annexe. Ils étaient toujours du mauvais côté du Jourdain, en terre de Moab : les publications politiques trimestrielles et les journaux en yiddish qu’ils dévoraient venaient tous de New York.
Ce roman raconte dans le désordre
l’histoire invraisemblable d’une famille : Ephraïm qui a converti au
judaïsme certains Inuits (ce qui donne des pages savoureuses sur les ethnologues)
et dont l’animal totémique est le corbeau, ses trois petits-fils (dont Solomon)
qui ont fait fortune à la frontière entre le Canada et les USA grâce au
commerce d’alcool pendant la Prohibition et qui essaient de passer à la
respectabilité d’un grand groupe. Il est question d’une mythique partie de
poker, d’un mort en avion, de cannibalisme… Solomon entre finalement assez tard
en scène, car ce qui importe, c’est la peur qu’il suscite chez ses frères.
Parallèlement, Moses navigue à vue entre les membres de la famille Gursky, ses
recherches dans les archives, l’alcool, les femmes et son père. Rien ne va
droit, tout va de travers (à tous les sens du terme).
Ce qui nous est raconté, c’est
une autre histoire du Canada, loin des aventuriers et des pionniers. Tout le
monde en prend pour son grade : les juifs un peu miteux, les francophones
carrément sous-développés, les anglophones riches et bêtes ou pauvres et bêtes,
les noirs, les homosexuels, les femmes, les Inuits… Le Nord apparaît comme une
zone blanche et mystérieuse, pleine de grandeur, loin des forêts pleines de
moustiques et des villes où les êtres humains sont au service de l’argent.
C’est l’histoire d’une fortune faite par des gangsters (j’aime bien ça) et d’un
pays construit dans la misère.
Dans les rues de Montréal.
Voici comment je vois les choses. Le Canada, c’est moins un pays qu’un ramassis des descendants mécontents de peuples vaincus. Les Canadiens français, qui s’apitoient sur leur sort ; les enfants des Écossais qui ont fui le duc de Cumberland ; les Irlandais, la famine ; et les Juifs, les Cent-Noirs. Puis il y a les paysans venus d’Ukraine, de Pologne, d’Italie et de Grèce, bien commodes pour faire pousser le blé, extraire le minerai, taper du marteau et faire tourner les restaurants, mais que, autrement, il vaut mieux garder là où ils sont. La plupart d’entre nous s’entassent toujours le long de la frontière, le nez collé à la vitrine du magasin de bonbons, effrayés par les Américains d’un côté et par l’immensité sauvage de l’autre.
J’ai beaucoup aimé cette lecture,
en dépit de ou grâce à son aspect totalement décousu. Le lecteur se mélange un
peu les pinceaux, même si un arbre généalogique des Gursky est fourni, et fait
peu à peu le lien entre des détails apparemment épars. Le roman se moque des
héros de la Prohibition et des soi-disant grands gangsters, de la diaspora
juive, des ethnologues spécialistes de l’Arctique, de la petite bourgeoisie
constitutive de Montréal, des migrants pouilleux qui sont venus au Canada au
XIXe siècle. C’est d’assez mauvais goût, c’est drôle et intelligent.
Solomon Gursky est un héros
insaisissable, mais présent partout, comme un dieu invisible et tout puissant.
Le roman est anglophone, mais une
grande partie de l’action se déroule au Québec. L’avis de Philippe.
6 commentaires:
J'ai adoré moi aussi. Je crois que ce que j'en retiens surtout, avec le passage du temps, c'est d'avoir beaucoup ri (les passages où le héros se fait passer pour un dieu auprès des tribus d'esquimaux est juste... hilarant).
Ah oui, tout ce qui touche à la partie Grand Nord est formidable !
Ce livre est génial !! :)
Mais tout à fait ! Je le relirai certainement.
Vu hier en librairie : la bête est lourde!!!
630 pages, bien serrées et bien denses, en effet. Mais je l'ai lu assez vite pourtant.
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