La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 20 septembre 2016

Moi, vois-tu, je ne crois qu’aux sorciers.

Victor Hugo, Mangeront-ils ?, 1867.

Une jolie pièce de théâtre.

Dans un décor plein de mystère – une chapelle en ruine dans une forêt sinistre – un roi féroce traque deux amoureux qui ont trouvé refuge dans cet asile. À cet endroit, on ne peut les atteindre. Hélas, la forêt ne contient que des plantes venimeuses et ils mourront de faim. Enfin, ça, c’est sans compter l’aide d’une sorcière et d’un fou errant nommé Airolo.

De vos religions, je lis Dieu sans lunettes.
J’aime les rossignols et les bergeronnettes.
J’ignore si j’arrive et ne sais si je pars.
Parfois dans le zéphir je me sens presque épars.

Cette comédie fait sourire à de nombreuses reprises, car elle repose sur un jeu de quiproquos et d’apartés tout à fait savoureux. Les personnages ne sont pas forcément ce dont ils ont l’air, notamment celui de la sorcière ou ceux des proches du roi. Le jeune roi est un tyran peu réfléchi, mais le flatteur est également réussi. La pièce laisse toute sa place au fou errant, au simple, au vagabond dans un bel hymne à la liberté. Ce décor, très particulier, a toute son importance : il est champêtre à première vue, devient finalement sinistre, presque celui d’une fresque fantastique – gothique à coup sûr.

L. Urbani, Le Calvaire (détail), 1466-93, Petit Palais, Avignon, M&M.

Nous sommes dans un Moyen Âge d’opérette. Airolo permet de comprendre qu’il ne faut rien prendre au sérieux ou au tragique, excepté la cruauté humaine, lui-même chantant la liberté et le rire.

Moi, que la guerre emplit de son souffle fougueux,
Parce qu’il a passé par la tête d’un gueux
De marmotter jadis du latin sur ces pierres,
Parce qu’un moine infect, en baissant les paupières,
Un goupillon au poing, a craché son credo
Sur ce mur aspergé de quelques gouttes d’eau,
Parce que le passant, sorte de brute, épèle
L’absurde mot Refuge au front de la chapelle,
Quoique je sois le roi, quoique je sois jaloux,
Quoique j’aie j’un donjon, des carcans et des clous,
Quoique mes gens soient là tenant leurs armes prêtes,
Me voilà condamné, moi, l’homme que les bêtes
Et les dragons des bois craindraient d’avoir contre eux,
À laisser devant moi s’aimer deux amoureux !


5 commentaires:

claudialucia a dit…

J'adore le "je lis dieu sans lunettes"! Il n'y a que Hugo pour trouver de pareilles formules! Il était vraiment très anticlérical !
Tiens, pour toi, cela se passe au Moyen-âge? Pourquoi pas? Je le voyais en plein XIX siècle, l'église y est toute puissante et la morale étroite et le tyran tout trouvé, Napoléon III.
Merci pour ta participation. J'ai proposé d'autres lectures de VH. En particulier continuer la lecture des pièces de Théâtre en Liberté, beaucoup moins connues que les autres. Tu en es?

nathalie a dit…

Pour moi, l'église servant d'asile et la sorcière font plus Moyen Âge. Et un récit vaguement médiéval pet être une métaphore pour le temps présent.
Je participerai certainement à d'autres LC. Je regarde le programme en revenant de vacances.

miriam a dit…

J'ai aussi sélectionné le "dieu sans lunettes" qui rime avec bergeronnette. Aussi cette attention au décor naturel, à cette forêt empoisonnée

nathalie a dit…

Oui ce décor est très impressionnant.

claudialucia a dit…

Et en fait, oui, cela se passe au Moyen-âge, VH le dit dans les didascalies.