Laurent Binet, La septième fonction du langage, 2015.
Un roman potache tout à fait
divertissant.
Le point de départ du roman est
très simple : Roland Barthes vient de mourir, heurté par une camionnette
et le commissaire Jacques Bayard est chargé de l’enquête – pour assassinat.
C’est ensuite que les choses se compliquent : Bayard recrute Simon Herzog
pour le guider dans les méandres de la linguistique, de la sémiologie, des
universitaires, des gauchistes et autres jeunes aux cheveux longs. Apparaissent
au cours de l’enquête un grand chauve à col roulé (Foucault), quelques excités (Sollers
et BHL), l’énigmatique Kristeva et quelques autres. Par ailleurs, nous sommes
en pleine campagne pour l’élection présidentielle de 1981 et cela n’a rien
d’anodin.
Il n’est pas absolument
nécessaire d’avoir fait des études de lettres pour comprendre de quoi il s’agit
concernant les fameuses fonctions du langage, même si aimer les mots et la
langue me semble indispensable pour apprécier ce roman. Je suppose que
l’expérience de lecture varie beaucoup selon l’âge du lecteur et sa supposée
familiarité avec cet univers. Pour ma part, j’ai aimé l’évocation du monde
universitaire, de ses tares et de son pittoresque (on n’est pas loin de David
Lodge) tandis que les autres personnages au nom célèbre me semblent des
marionnettes avec des étiquettes connues. Sur tout cela plane l’ombre de
Bourdieu, car il est beaucoup question de classe et de rang social – disons que
chacun cherche à se la péter plus que l’autre.
Allégorie de l'Éloquence, Rennes, Parlement de Bretagne, Wiki image. |
Je note la parfaite adéquation
entre l’univers du roman policier et celui de la sémiologie : tout est
signe et tout est interprétable. Très vite le lecteur se surprend à surveiller
les doigts coupés, les différents accents, les marques de voiture et tout ce
qui pourrait « faire signe ». Dans un roman, plus encore dans un
roman policier, rien n’est gratuit et le paranoïaque tient le haut du pavé.
Le roman rend enfin hommage au
langage, à la force de la langue, à la rhétorique : beauté du discours,
langage utilitaire, corruption ou manipulation par les mots. Le lecteur rencontre
Umberto Eco avec beaucoup d’affection, entre dans le bureau de Giscard
d’Estaing ou dans les discussions de Mitterrand et participe à des joutes
oratoires tout à fait homériques.
J’ai repéré quelques procédés qui
se répètent, plaisants mais dont on se lasse. La fin n’en finit pas (en bon
roman complotiste) et traîne un peu trop. Je le prends comme un exercice
potache, une roublardise au service de la langue et de la littérature, aux
dépens des poseurs.
La vie est transparente, la
littérature opaque, lui dit l’Anglais. (Ça se discute, se dit Simon). La vie
est un système ouvert, la littérature est un système fermé. La vie est faite de
choses, la littérature est faite de mots. La vie est bien ce dont elle semble
parler : quand on a peur en avion, il est question de la mort. Quand on
drague une fille, il est question de sexe. Mais dans Hamlet, même le critique le plus débile se rend bien compte qu’il
ne s’agit pas d’un homme qui veut tuer son oncle, qu’il est question d’autre
chose.
Les avis de Sandrine et de l’Irrégulière.
Je l'ai sur ma liseuse et je lui tourne autour depuis un moment... Ton avis me donne envie de m'y mettre.
RépondreSupprimerC'est une lecture agréable, parfaite pour détendre son cerveau embrumé !
RépondreSupprimerOuh la la, ça c'est pas pour moi même si la comparaison avec David Lodge est séduisante.
RépondreSupprimerMerci pour le billet, je saurai ne pas l'acheter si je croise ce livre.
PS : Emma, c'est la bloggeuse de Book Around The Corner, qui n'arrive toujours pas à laisser de commentaire avec son ID Wordpress. *soupir*
RépondreSupprimerJe ne sais pas pourquoi. Heureusement on peut laisser un commentaire juste en mettant son nom et son adresse mail. Et heureuse d'avoir pu t'être utile !
SupprimerJ'aime le lien que tu notes entre le polar et la sémiologie. Ça me donne envie, du coup !
RépondreSupprimerC'est évident dans le roman. J'espère que cela te plaira.
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