Maurice Maindron, Saint-Cendre, 1898, édité à l’Arbre
vengeur.
Roman sensuel et historique.
Nous sommes au XVIe
siècle, au moment des guerres de religion. Au début du livre, le marquis de
Saint-Cendre est blessé, ruiné, séparé de sa femme, a été brûlé en effigie et se
meurt dans un fossé. Le roman raconte ses efforts pour reconquérir femme et
fortune et se venger de ses ennemis (je simplifie beaucoup).
Nous sommes donc dans un décor de
château fort et de bastions, d’armures et de chevaux, de paysans et de nobles.
Première chose : Maindron est un érudit, auteur de plusieurs études sur le
costume ou les armes de l’ancienne époque. Il s’y connaît et n’épargne aucun
détail technique sur toute la panoplie guerrière (il y a plein de choses que l’on
ne comprend pas du coup). C’est aussi un contemporain de Huysmans : il
aime le mot rare et précieux, l’expression évocatrice d’un univers exotique et
lointain. La langue est donc très chargée et assez déroutante, avec des
comparaisons sinueuses qui arrêtent l’action pour la simple beauté de l’image.
Le lecteur est plongé dans un univers qu’il ne comprend pas très bien, ce qui
n’est pas dépourvu de charme.
Mais Diane, sous ses cils bruns, coulait un regard sournois sur la confiture ambrée luisant comme un bloc de topaze. Le corail de sa bouche rejoignait l’or de la cuiller continuant les gemmes étincelantes qui scintillaient à ses doigts. Ses cheveux couleur d’or fondu la coiffaient comme d’un pétase, et ses épingles, ses peignes à couronne, les pendeloques de ses oreilles roses n’avaient point tant d’éclat que ses yeux. Elle ressemblait à l’un de ces génies femelles qui gardent les trésors de la terre, s’abreuvent à l’eau des pierres précieuses, s’éclairent à l’orient des perles. Et Gaspard qui la contemplaient, sans désir, crut voir une de ces divinités indiennes qui illuminent le fond d’un sanctuaire et à qui l’on sacrifie des hommes.
Isabey, Escalier de la tourelle du château d'Harcourt, 1827, Cherbourg musée Thomas Henry, M&M |
Et la sensualité. Saint-Cendre
est un séducteur auquel nulle ne résiste. Les femmes semblent hypnotisées par
ce marquis et par son souvenir. Toutes ses apparitions s’effectuent donc dans
un climat de sensualité assez lourd. Plus généralement, les hommes
s’intéressent beaucoup au corps des femmes et se servent largement. Les viols
sont évoqués de façon tout à fait réaliste, mais Maindron n’est pas très clair,
car il s’agit d’un mal si commun… Les femmes sont à la fois altières et
soumises (psychanalyser le XIXe siècle prendrait du temps), c’est un
peu lassant. Par ailleurs, l’homosexualité féminine fait également son
apparition, histoire de titiller l’imagination du lecteur (et de la lectrice).
Avec tout cela, j’ai pris grand
plaisir à ma lecture, même si je me suis quelquefois perdue dans ces noms de
chevaliers et de chevaux et de laquais. Cela ressemble à un voyage en terre
étrangère et fantasmée. Maindron me semble plus intéressé par la possibilité
offerte par la langue de placer des mots inédits, des expressions alambiquées
et des comparaisons bizarres, que par son intrigue. Ses personnages sont un peu
les mannequins de toutes ces belles armures et de ces phrases rutilantes.
Finalement, il s’agit surtout de se battre, de baiser et d’avoir de beaux
costumes – la vie est si simple quand le décor prend place dans un univers
merveilleux.
Saint-Cendre, tout armé,
descendit pour gagner la première cour. Derrière lui on portait ses gantelets,
sa bourguignote, son épée et ses éperons. Pris du cou jusqu’aux genoux dans son
anime à longs cuissots, écaillée comme une queue d’écrevisse, il avançait,
telle une haute et svelte statue de bronze noirci damasquiné d’or. Quand il eut
chaussé ses éperons, ceint son épée de guerre à garnitures bleuies, mis ses
gantelets et armé sa tête, il monta sur une cheval dont la sellerie était de
velours, de cuir et de soie à ses couleurs, avec des chasse-mouches à clous
argentés et un hausse-queue de cliquant.
L’avis de Sandrine qui a moins d'indulgence que moi.
Tu cites Huysmans alors, forcément, je prends note !
RépondreSupprimerÀ part ce goût pour le mot rare et l'objet précieux (bijou, arme, costume) je ne sais pas si les points communs sont si nombreux. Maindron est très érudit et moins esthète je pense, mais n'entretient pas le même rapport passionné aux lieux symboliques, à la religion, etc.
SupprimerTant pis, ça me tente quand même. :)
SupprimerEn fait, je ne suis pas bien d'accord avec les mots "séducteur" et "sensualité". Ces types sont des soudards, c'est clair et ils violent à tour de bras. Et l'homosexualité féminine, seulement évoquée, me semble là moins pour titiller l'imagination à mes yeux que pour évoquer un refuge pour une sexualité moins violente pour les femmes (mais là, j'ai conscience que je surinterprète et rêve un peu car on ne sait finalement pas où se place l'auteur dans tout ça...).
RépondreSupprimerEn tout cas, c'est un plaisir de lecture pour ce qui est de la langue, j'ai aimé me perdre et être plaisir dans ces mots et ces tournures qu'on ne connaît plus...
Je suis assez OK pour l'homosexualité féminine, encore que la scène finale soit plus tendancieuse.
SupprimerPour les hommes, je comprends ce que tu veux dire. Mais une fois que l'on a dit que l'on était dans un roman sexiste, on ne comprend pas grand-chose des rapports de force entre personnages. Il y a des hommes qui violent explicitement. Il y a Saint-Cendre qui apparaît et les femmes se soumettent volontairement, c'est très différent des autres hommes qui, eux, soumettent les femmes. Par exemple Clérambeau les enferme et les menace de mort (Saint-Cendre ne menace jamais). C'est ce pouvoir extraordinaire qui justifie que Cendre soit le héros, qu'il soit supérieur aux autre hommes et qui est le moteur de l'action (cf. le comportement de Gabrielle). Quant au vieillard qui se soumet à l'autorité d'une gamine, il mène son monde à la catastrophe. Englober tout le monde sous l'aspect "soudard violeur" exprime ton ressenti (et je comprends complètement) mais ne permet pas de comprendre comment fonctionne le roman (où l'on voit que chacun joue sa partition à sa façon). Pardon pour la longueur...
Ce vieux ridicule soumis à une jeunette m'a rappelé les comédies de Molière...
SupprimerOui, en effet, ça me semble tout à fait la référence voulue par Maindron.
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