La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 4 avril 2017

J’avais, comme il avait été convenu, dix-huit ans.

Alessandro Baricco, La Jeune Épouse, traduit de l’italien par Vincent Raynaud, parution originale 2015.

Dans une riche famille du Nord de l’Italie, au début du XXe siècle, arrive la fiancée du Fils. Problème : le Fils est en Angleterre et rien n’indique que son retour soit proche. La Jeune Épouse s’installe dans la demeure. Initiée par les différents membres de la famille au sexe, à la beauté et à quelque chose d’autre que l’on appellerait l’ordre du monde, elle prend sa place en attendant le retour de son fiancé.
Ayant adoré Novecento et beaucoup aimé Soie, j’ai abordé ce nouveau titre avec méfiance, d’autant que tous les lecteurs en faisaient des caisses sur le côté libertin du roman. Autant dire que je suis très heureusement surprise de ma lecture. Oui, il y a des scènes de sexe, même si, pour moi, le grand moment de sensualité reste le moment où la Mère donne une leçon de beauté à la Jeune Épouse, en lui apprenant à nouer et dénouer ses cheveux avec un glamour envoutant.

- C’est par la répétition des gestes que nous arrêtons la course du monde. Comme lorsqu’on tient la main d’un enfant pour éviter qu’il ne se perde.
- Peut-être qu’il ne se perdra pas. Peut-être qu’il se mettra juste à courir un peu et qu’il sera heureux.
- Je ne me ferais pas trop d’illusions là-dessus.
- Et d’ailleurs, tôt ou tard il se perdra, vous ne croyez pas ?
Le Père pensa au fils et aux mille fois où il avait tenu sa main.

La réussite première de ce roman est dans le choix des personnes. Le roman est raconté à la 3e personne, avec un narrateur omniscient, mais ce narrateur prend régulièrement la parole à la 1e parole. Ce n’est ni très original ni très réussi, mais ce qui est bien mieux, c’est que les personnages sont majoritairement décrits à la 3e personne, avec des intrusions inattendues de la 1e personne. C’est tout à fait déstabilisant, mais ce procédé nous permet d’accéder à l’intériorité des sentiments de chacun. Sous la narration, volontiers distante et même ironique, un brin pontifiante, jaillit donc de temps en temps l’expression passionnée et personnelle. Ces incursions permettent également d’effectuer des allers et retours entre les différentes époques, puisque bien souvent les personnages évoquent leurs souvenirs. Tout ceci rend très vivant un roman qui sinon aurait été assez plat.
JD Tiepolo att., Portrait féminin, Madrid Musée Lázaro Galdiano, M&M.
Une allure de conte, avec ces personnages et ces lieux sans nom, sans identité (à l’exception des personnages secondaires), qui semblent là pour mettre en vie une histoire préécrite. Les objets sont signifiants, symboliques, et s’inscrivent dans un cycle à respecter. C’est comme une variation sur le thème des mille et une nuits, cette histoire de sexe et de mort, où chacun craint plus que tout de ne pas passer la nuit, où la famille est le lieu de la transmission des peurs.
Un sentiment de malaise ? Dans ce roman, tous les adultes sont consentants à ce qui leur arrive. Ils sont riches et tout n’est qu’élégance et courtoisie. Si malaise il y a, il est dans la tête du lecteur qui sait bien que, dans la vraie vie, si la richesse existe, ce n’est pas le cas de l’élégance et de la courtoisie. Tout semble faux et dangereux, voire malsain… mais ce n’est que dans la tête du lecteur, car le roman ne dit rien de tel. Et cela, c’est assez habile.
Tout cela n’est pas dépourvu d’humour et j’ai beaucoup aimé le domestique qui possède une gamme complète de toux destinées à prévenir la famille des différents événements, comme un langage.

Modesto s’en chargea. Lorsqu’il ouvrit, il trouva devant lui la Jeune Épouse.
Elle n’était pas attendue ce jour-là, ou peut-être que si, mais tous l’avaient oubliée.
- Je suis la Jeune Épouse, annonçai-je.
- Vous, fit observer Modesto. Puis, stupéfait, il regarda autour de lui, car il n’était pas pensable que je fusse venue seule. Pourtant, aussi loin que l’œil pouvait voir, il n’y avait personne d’autre.








2 commentaires:

AMBROISIE a dit…

J'ai vu que ce roman sortait bientôt en poche et il me tarde de me le procurer. J'adore Alessandro Baricco et surtout son Océan Mer qui m'a ému aux larmes (son passage du naufrage est totalement bouleversant). Celui là m'intéresse grandement.

nathalie a dit…

Ah tu es la 2e personne à me parler d'Océan mer, il faut que je mette la main dessus !