L’Enfer de la flibuste, textes rassemblés et présentés par Frantz
Olivié, édité en 2016 par Anacharsis.
Des récits de vrais pirates –
c’est trop bien.
Nous ne sommes pas ici dans le
roman, mais dans les archives. Olivié confronte différents manuscrits entre eux
de façon à reconstituer le parcours d’un groupe de pirates français du XVIIe
siècle. Un peu plus aride et vraiment passionnant.
Il y a tout d’abord un long
manuscrit anonyme, composé par un pirate, racontant une expédition de 1686-88,
où une bande part des Caraïbes, descend le long des côtes du Brésil, passe le
détroit de Magellan pour atteindre « les mers du Sud », c’est-à-dire
le Pacifique, et écumer les côtes et les colonies espagnoles jusqu’à la
Californie. Olivié donne une édition lisible, mais nous découvrons le quotidien
des pirates qui passent leur temps à chercher de l’eau et des vivres, et donc à
effectuer des descentes à terre pour attaquer des villages et exiger des
rançons en nourriture (pas de trésors planqués dans les îles). Dure existence.
La deuxième partie est un dossier
d’archives espagnoles, car le livre confronte les archives de police, les
archives militaires, les correspondances privées et officielles. Le dossier
concerne les négociations entre ce groupe de pirates qui détient des
prisonniers et les officiels d’une petite ville espagnole de la côte. C’est
aussi un aperçu sur ce coin du monde à cette époque, avec les esclaves noirs,
les Indiens, les métis de divers ordres, les religieux, les Espagnols. Il est
notamment question du contrôle espagnol sur la population locale pour la bonne
exploitation des mines.
La troisième partie raconte la
fin de l’aventure. Ou comment ce petit monde est revenu en France, s’est
installé à Cayenne avec son butin et s’insère dans la société blanche locale, a
tenté de se recycler dans la Marine royale grâce à l’expérience acquise dans
des mers alors inconnues, ou a rejoint la marine britannique en Inde.
Jeu de cartes saisi sur un bateau de pirates, 19e siècle, British Muséum, RMN. |
Là encore, l’intérêt du dossier
est dans la confrontation et le jeu des hypothèses, mais aussi dans la
confrontation avec notre imaginaire. Ici, il s’agit de tuer, de faire
prisonnier, de rançonner, de piller, d’avoir faim et soif, de souffrir du
scorbut, d’effectuer les manœuvres, d’entretenir le bateau, d’être blessé, de
fabriquer de la poudre, de tâcher de revenir vivant. L’aventure, ce n’est pas
pour les enfants de cœur. Ce sont des marins durs et sans doute d’une grande
qualité, pour naviguer sur des mers inconnues, sans carte, sans connaître les
courants, les ports, les points d’eau et en étant pourchassé. Le capitaine doit
maintenir l’entente dans l’équipage malgré les coups durs – sinon, il est
remplacé. J’ai trouvé ça très intéressant, et n’ayant pas grand-chose à voir
avec les romans du XIXe siècle.
L’on y trouva une lettre que le
gouverneur nous écrivait, par laquelle il nous manda que, pour des vivres, il
lui était défendu par ordre du vice-roi du Mexique, sur peine de la vie, de
nous donner ni vivres ni autres choses de la terre, ce qui nous mit dans un
grand transport, nous voyant dans une côte si écartée, sans aucun vivre, ni
voir aucun lieu d’en pouvoir avoir. Toutefois, nous étions fâchés de lui avoir
écrit que nous leur casserions la tête, mais comme l’on est obligé de tenir sa
parole avec ces sortes de gens, nous lui fîmes réponse que, s’il nous voulait
envoyer des charges de blé d’Espagne (= du maïs), qu’il eût à les envoyer en
deux jours, et que l’on lui mettrait tous les prisonniers entre les mains ou
bien que, s’il ne les envoyait point, il n’eut qu’à envoyer quérir les corps de
ces gens. Il nous fit pour réponse que nous n’avions qu’à en faire ce que nous
voudrions, les tuer et les manger si nous volions, qu’il ne s’en mettait point
en peine.
* Où l’on apprend que le vice-roi a
donc interdit de donner des vivres aux pirates et d’accéder aux demandes de
rançon, ce qui oblige les officiels locaux à payer de leurs deniers personnels et qui a pour conséquence que les pirates ont toujours faim.
À compléter par le dossier Aaron Smith, 1822, accusé de piraterie et acquitté.
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