La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 31 mai 2017

Il ne comprend pas comment il a pu en réchapper.

L’Enfer de la flibuste, textes rassemblés et présentés par Frantz Olivié, édité en 2016 par Anacharsis.

Des récits de vrais pirates – c’est trop bien.

Nous ne sommes pas ici dans le roman, mais dans les archives. Olivié confronte différents manuscrits entre eux de façon à reconstituer le parcours d’un groupe de pirates français du XVIIe siècle. Un peu plus aride et vraiment passionnant.
Il y a tout d’abord un long manuscrit anonyme, composé par un pirate, racontant une expédition de 1686-88, où une bande part des Caraïbes, descend le long des côtes du Brésil, passe le détroit de Magellan pour atteindre « les mers du Sud », c’est-à-dire le Pacifique, et écumer les côtes et les colonies espagnoles jusqu’à la Californie. Olivié donne une édition lisible, mais nous découvrons le quotidien des pirates qui passent leur temps à chercher de l’eau et des vivres, et donc à effectuer des descentes à terre pour attaquer des villages et exiger des rançons en nourriture (pas de trésors planqués dans les îles). Dure existence.
La deuxième partie est un dossier d’archives espagnoles, car le livre confronte les archives de police, les archives militaires, les correspondances privées et officielles. Le dossier concerne les négociations entre ce groupe de pirates qui détient des prisonniers et les officiels d’une petite ville espagnole de la côte. C’est aussi un aperçu sur ce coin du monde à cette époque, avec les esclaves noirs, les Indiens, les métis de divers ordres, les religieux, les Espagnols. Il est notamment question du contrôle espagnol sur la population locale pour la bonne exploitation des mines.
La troisième partie raconte la fin de l’aventure. Ou comment ce petit monde est revenu en France, s’est installé à Cayenne avec son butin et s’insère dans la société blanche locale, a tenté de se recycler dans la Marine royale grâce à l’expérience acquise dans des mers alors inconnues, ou a rejoint la marine britannique en Inde.
Jeu de cartes saisi sur un bateau de pirates, 19e siècle, British Muséum, RMN.
Là encore, l’intérêt du dossier est dans la confrontation et le jeu des hypothèses, mais aussi dans la confrontation avec notre imaginaire. Ici, il s’agit de tuer, de faire prisonnier, de rançonner, de piller, d’avoir faim et soif, de souffrir du scorbut, d’effectuer les manœuvres, d’entretenir le bateau, d’être blessé, de fabriquer de la poudre, de tâcher de revenir vivant. L’aventure, ce n’est pas pour les enfants de cœur. Ce sont des marins durs et sans doute d’une grande qualité, pour naviguer sur des mers inconnues, sans carte, sans connaître les courants, les ports, les points d’eau et en étant pourchassé. Le capitaine doit maintenir l’entente dans l’équipage malgré les coups durs – sinon, il est remplacé. J’ai trouvé ça très intéressant, et n’ayant pas grand-chose à voir avec les romans du XIXe siècle.


L’on y trouva une lettre que le gouverneur nous écrivait, par laquelle il nous manda que, pour des vivres, il lui était défendu par ordre du vice-roi du Mexique, sur peine de la vie, de nous donner ni vivres ni autres choses de la terre, ce qui nous mit dans un grand transport, nous voyant dans une côte si écartée, sans aucun vivre, ni voir aucun lieu d’en pouvoir avoir. Toutefois, nous étions fâchés de lui avoir écrit que nous leur casserions la tête, mais comme l’on est obligé de tenir sa parole avec ces sortes de gens, nous lui fîmes réponse que, s’il nous voulait envoyer des charges de blé d’Espagne (= du maïs), qu’il eût à les envoyer en deux jours, et que l’on lui mettrait tous les prisonniers entre les mains ou bien que, s’il ne les envoyait point, il n’eut qu’à envoyer quérir les corps de ces gens. Il nous fit pour réponse que nous n’avions qu’à en faire ce que nous voudrions, les tuer et les manger si nous volions, qu’il ne s’en mettait point en peine.
* Où l’on apprend que le vice-roi a donc interdit de donner des vivres aux pirates et d’accéder aux demandes de rançon, ce qui oblige les officiels locaux à payer de leurs deniers personnels et qui a pour conséquence que les pirates ont toujours faim.

À compléter par le dossier Aaron Smith, 1822, accusé de piraterie et acquitté.



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