La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 22 décembre 2017

C’était envolé, comme d’habitude, ça s’entortillait dans des choses hors de propos.

Tarjei Vesaas, Les Oiseaux, parution originale 1957, traduit du norvégien par Régis Boyer, aux éditions Plein chant.

Un beau et étrange roman.
L’histoire est racontée du point de vue de Mattis, un garçon simple, qui vit avec sa sœur, Hege, dans une maisonnette près d’une forêt et d’un lac. Tout simple ? Mais dès qu’il essaie de travailler, ses pensées le brouillent et s’emmêlent et l’empêchent finalement d’avoir la vie bien réglée des autres. Un soir, tout change : une bécasse passe au-dessus de la maison. Hege hausse les épaules – quelle importance ? – mais Mattis sait bien qu’il faut s’attendre à de grands changements. C’est qu’il comprend, lui, la langue des oiseaux. Cet été-là ne sera pas comme les autres.

Les ailes battantes, l’oiseau lui-même à peine visible et pressé, très haut en l’air, juste au-dessus de la maison, venant maintenant de la direction opposée. Parti de nouveau, caché par le doux crépuscule et les cimes sommeilleuses de la forêt.
Alors, Mattis dit fortement :
-       Finalement, il y a eu une passée de bécasses.
Il ne savait pas pourquoi et comment il disait cela. C’était la moindre des choses qu’il pût dire et faire – et nul de l’entendait.
On avait le sentiment que quelque chose s’était accompli après de longues et dures épreuves.

En voilà un roman qui ne ressemble à aucun autre ! L’auteur nous plonge dans les pensées de Mattis, lui qui a une langue si particulière, qui se parle dans sa tête et qui se méfie dans ses échanges avec les autres. Boyer explique d’ailleurs bien, en introduction, ce que permet la langue norvégienne en la matière. Ici les oiseaux, les arbres, le lac s’expriment de façon claire, mais uniquement pour Mattis, alors que les autres (= les gens supposément normaux) sont aveugles à ces événements si importants. De plus, le garçon prête attention à son propre langage et à ses propres pensées, surtout en présence des autres, car il sait qu’il doit se comporter comme les autres, normalement et qu’il n’y parvient pas totalement.
 
Zorn, Notre pain quotidien, 1886, Nationalmuseum Stockholm.
C’est un roman troublant. Il n’est pas tant question de beauté de la nature ou d’un paysage, mais d’une lenteur de la langue et de la pensée. C’est un monde renversé. Les gens qui entourent Mattis sont plutôt bienveillants dans l’ensemble, même s’ils sourient en le voyant, et ils considèrent qu’il fait partie de leur vie. Pourtant, ils ne perçoivent pas le remous de ses pensées, ses angoisses. Ils restent à la surface des choses, se satisfaisant du fait qu’il ne crie pas ou ne leur pose pas de questions, supposant que le silence est synonyme de calme et sérénité.
Le lecteur a le cœur serré en voyant l’évolution suivie par Mattis, qui ne parvient pas à exprimer ses émotions, qui est attentif aux réactions des autres, même s’il ne les comprend pas bien, qui a du mal à vivre. Une étrange beauté.

Là-dessus, il fallait qu’il s’en aille. Il aurait pu dire quantité de choses maintenant, mais ça n’allait pas. C’était dur de devoir s’en aller bouche close.

Au moment où il descendait la pente, le soleil grimpa au-dessus des collines. Il y avait une douce chaleur d’automne dans ses rayons, et il rendait transparent le paysage, rendait la marche comme légère, entre les feuilles brillantes. Et pourtant, ce n’était pas si facile.

10 commentaires:

  1. Je viens de lire Le Palais de glade de cet auteur, et je retrouve dans ton billet toute l'atmosphère particulière de la lecture. " Une étrange beauté ", c'est tout à fait ça.

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    1. Je ne connaissais pas du tout cet auteur, c'est une sacrée surprise !

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  2. Ça donne très envie ! Maintenant que je sais à quoi m'attendre, je pense que je saurais davantage apprécier cet auteur.

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  3. Voilà un titre étrange et attirant aussi, comme ce fameux Palais de glace.

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    1. Oui il va falloir s'y plonger dans l'oeuvre de cet auteur!

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  4. étrange en effet, mais pourquoi pas!
    De belles fêtes de fin d'année!

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    1. Faut se laisser tenter... Bonnes fêtes à toi également.

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  5. Billet très tentant pour une nouvelle lecture de cet auteur ! Merci pour cette participation à la LC et bonnes fêtes !

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    1. Merci à toi plutôt, je n'en avais jamais entendu parler.

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