Sorj Chalandon, Profession du père, 2015.
Le narrateur est un petit garçon
qui raconte son père et son enfance. Le père a été champion de judos, chanteur,
agent secret, il soutient l’OAS, veut tuer de Gaulle… des mots, des discours,
des imprécations, des mythes. Le père reste à la maison en pyjama et sort peu.
Il manipule son fils et son entourage, le bat, lui farcit la tête. La mère
travaille et ne dit rien, tente quelquefois de s’interposer, mais attend le
plus souvent que ça passe.
C’est un roman bouleversant. La
manipulation que le père impose à son fils est violente. Il ne se contente pas
de se donner le beau rôle, celui d’un héros, mais réécrit l’histoire de la
décolonisation et de la guerre d’Algérie. Le petit garçon lui fait confiance et
souhaite lui plaire, naturellement, ce qui l’amène à entraîner un camarade de
classe dans ce délire – les choses iront, hélas, très loin. C’est aussi un père
violent envers son fils et sa femme.
Ma mère, sans mode d’emploi. Son visage de chiffon blanc. Les yeux, la bouche, le front, plus rien ne bougeait.
Finalement l’enfant devient très
doué pour le mensonge, enjolivant la réalité, cachant les problèmes, pour être
à la hauteur de ces attentes.
Le silence et l’inexistence de la
mère sont gênants, mais pas invraisemblables si l’on songe à l’habitude donnée
aux femmes de s’effacer derrière le pater
familiae. Et puis elle tient bon, elle attend que l’orage passe. Elle n’est
pas dupe des mensonges du père, mais prend bien soin de ne pas les démentir et
de ne pas égratigner la légende.
Jean Dubuffet, Maisons. Paris, 1946, NY Met. |
Le père est fou est fou, mais il ne se prend
pas pour Napoléon. Si le roman est aussi troublant, c’est qu’il s’inscrit très
finement dans son temps. Avec le recul, le pays de cette époque apparaît lui
aussi en proie à la folie. Les fantômes de la Seconde guerre ne sont pas loin,
c’est la fin de la guerre d’Algérie, les attentats de l’OAS, la guerre froide
et l’anticommunisme, l’apparition des espions dans la culture populaire… Les
récits du père sont cohérents avec tout cela et c’est peut-être aussi terrible.
C’est un roman où le fils aime
son père et se désole de sa vieillesse et de sa décrépitude.
J’avais mal dormi. La guerre, le
putsch, les cris de mon père contre de Gaulle. Toute la nuit, le Général
m’avait menacé avec un tournevis. Je prenais mon petit déjeuner. Du pain
tartiné de margarine et un bol de lait. La voix de ma mère, dans le couloir.
Lecture forte apparemment, mais elle ne me fait pas très envie. Quel bonhomme !
RépondreSupprimerJe reconnais que le panorama n'est pas extrêmement souriant.
SupprimerC'est mon enfance aussi et c'est vrai que finalement ce n'était pas souriant mais... heureusement je n'avais pas ce genre de père et je pouvais être insouciante. Du moins, en partie parce que je me souviens très bien des jeunes gens de mon quartier, des amis de mon frère plus âgés, partant à la guerre en Algérie et de l'un d'eux qui y est mort.
RépondreSupprimerBien sûr, toutes les familles n'étaient pas comme ça. Ceci dit, l'ensemble de la société était traversé par des failles (et tout a valsé dans les années 70) qu'incarne bruyamment le personnage du père.
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