Honoré de Balzac, La
Rabouilleuse ou Un ménage de garçon,
1842.
Un petit roman très (trop ?) riche.
Au cours d’une première partie, nous suivons Agathe, née à
Issoudun, spoliée de son héritage par son père et son frère, partie vivre à
Paris, épouse d’un honnête fonctionnaire de Napoléon. Agathe Bridau a deux fils
: le beau Philippe, soldat de l’empereur et dépourvu de cœur, et l’honnête
Joseph, qui a choisi la vie d’artiste. Après quelques années à manger de la
vache enragée, la famille parisienne revient à Issoudun pour tenter de
récupérer l’héritage. Las ! Le frère d’Agathe est sous la coupe de La
Rabouilleuse, Flore, une magnifique jeune femme qui, elle aussi aimerait bien
récupérer l’argent.
On ne dîne pas aussi luxueusement en province qu’à Paris, mais on y dîne mieux ; les plats y sont médités, étudiés. Au fond des provinces, il existe des Carêmes en jupon, génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie.
Le sujet de ce roman n’est pas très bien défini (et vu l’hésitation
entre les titres et le contenu de la dédicace, Balzac lui-même n’était pas très
fixé) et l’intérêt du récit passe d’un personnage à un autre. La scène
d’exposition est un peu complexe et je n’ai pas compris qui était l’enfant
naturel de qui. Toutefois ce grand nombre de personnages constitue aussi une
richesse. Nous avons d’abord une évocation réussie de la difficile reconversion
des soldats de Napoléon, certains d’entre eux nourrissant un climat de violence
et de complot pendant des années. Il y a ensuite le récit de l’enfance de
Joseph Bridau, le peintre génial de La
Comédie humaine, l’artiste romantique qui reste incompris du public et qui
apparaît comme un martyr au milieu de la foule. Il faut dire que pour ces
bourgeois de province, peintre ou brigand, la différence est mince : l’artiste est une bête féroce. Il y a également la belle Rabouilleuse qui met la main sur
un bonhomme comme sur une écrevisse. Et aussi une évocation des bureaux de
loterie. Et ce que j’ai préféré : l’intrigue d’Issoudun et les manœuvres entre
militaires et vieil avare pour récupérer le magot. Ce passage est construit
avec un vrai sens du suspense tout à fait réussi !
La vocation est plus forte que tous les obstacles par lesquels on s’oppose à ses effets ! La vocation, le mot veut dire l’appel, eh ! c’est l’élection par Dieu !
Bazille, Étude de nu, 1864, Montpellier, Musée Fabre (on comprend que la prude Agathe se soit effrayée qu'un de ses fils devienne peintre). |
Enfin, le roman prend place dans l’économie de La Comédie humaine, car nous croisons Pierre Grassou, mais aussi Un début dans la vie et Les Employés et même la maison Nucingen. De plus, il s’agit
du cœur même de l’œuvre de Balzac : raconter les crimes impunis qui
surviennent le plus légalement du monde au sein des familles. Philippe Bridau
est un bel assassin.
Il est fait allusion à un sous-marin qui pourrait délivrer
Napoléon de Sainte-Hélène comme dans le roman de Danrit.
La vocation est plus forte que tous les obstacles par lesquels on s’oppose à ses effets ! La vocation, le mot veut dire l’appel, eh ! c’est l’élection par Dieu !
La mère, frappée au cœur, revint entièrement changée. Aussi blanche que la percale de sa chemise, elle marchait comme on se figure que doivent marcher les spectres, sans bruit, lentement et par l’effet d’une puissance surhumaine et cependant presque mécanique. Elle tenait un bougeoir à la main qui l’éclairait en plein et montra ses yeux fixés d’horreur. Sans qu’elle le sût, ses cheveux s’étaient éparpillés par un mouvement de ses mains sur son front ; et cette circonstance la rendait si belle d’horreur, que Joseph resta cloué par l’apparition de ce remords, par la vision de cette statue de l’Épouvante et du Désespoir.
Après une passage à Issoudun, une autre blogueuse et moi avons eu une lecture commune La rabouilleuse (faut pas grand chose ^_^) et ma foi, un Balzac, c'est souvent bien plaisant à lire!
RépondreSupprimerDu coup, toi, tu sais où se trouve Issoudun... (non parce que vu d'ici... pfiouuu).
SupprimerEt puis le restaurant La Cognette existe toujours (pas trop dans mes prix)
RépondreSupprimerj'aurais juré l'avoir lu mai à te lire je doute fortement
RépondreSupprimerje l'ajoute à ma liste Balzacienne du moment
Il existe sous différents titres. Balzac a failli l'appeler Les deux frères, je crois. Mais effectivement j'aurais juré que tu l'avais lu !
SupprimerTrop ? C'est ce que j'aime dans Balzac, le "trop" ! On ne peut pas dire que Balzac ait la concision, la précision, d'un Flaubert ou l'élégance d'un Stendhal. Il est touffu mais je l'aime bien quand il déborde comme dans La rabouilleuse même s'il est loin d'être mon écrivain préféré au XIX siècle.
RépondreSupprimerTu as raison de souligner l'étroitesse d'esprit et la bigoterie face à l'artiste. Un sous-marin pour délivrer Napoléon, je ne l'avais pas noté !
Il fait dans le trop, il se laisse emporter dans son récit et par ses personnages. Des fois, c'est moyen, mais sur ce roman, c'est très réussi !
Supprimersignature du billet précédent
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