Michel Jullien, L’Île aux troncs, 2018, édité chez Verdier.
Dans une île au bout du nord entre Finlande et Russie, habitant les cellules d’un ancien monastère, se trouvent des dizaines de cul-de-jatte, mutilés, anciens combattants de la Seconde guerre mondiale. Inaptes au travail, pas réinsérés, mendiants, alcooliques, indésirables dans la moderne et industrieuse Union soviétique, ils sont là. Parmi eux, Kotik et Piotr, unis dans l’admiration qu’ils portent à l’aviatrice Natalia Mekline – qu’ils ne connaissent que par une coupure de journal.
On le voit sur la photographie, coiffé d’un calot en astrakan élimé jusqu’à la corde, il fume, les yeux serrés se défendant des volutes car il ne touche pas au mégot, jusqu’à la fin, quand le foyer se met à grésiller sur les premières salives de la lippe – il ne le peut pas, ce serait lâcher sa béquille pour la cendre. Kotik sait s’y prendre, le sourcil torve, la gueule godaillant contre l’effet des mofettes de tabac.
Ce petit roman choisit de camper le grotesque, l’humain déformé, le tragique frôlant le clown, mais surtout l’amitié entre nos deux héros. Piotr n’a plus de jambes, il se déplace en s’appuyant sur ses mains, ou sur un fauteuil roulant. Il rêve de nager. Kotik, grand et mince, n’a qu’un bras et qu’une jambe, qu’une moitié du corps en somme. Il se souvient de l’époque où il était ambidextre. Ils carburent à la vodka et à tout ce qui contient un peu d’alcool, ont des rêves et des projets, mais surtout, ne se quittent pas.
Voilà un roman qui part des grandeurs et misères de l’URSS. Une note finale précise quelle est la part d’invention et la part de réalité dans ce tableau. Ces hommes troncs ressemblent à des samovars, c’est par ce petit nom qu’on les désigne. Tous les samovars et Kotik, le seul avec une homme, qui domine tout le monde en s’appuyant sur une béquille. Et puis la langue. Jullien s’en est donné à cœur joie, outrant, grimaçant, avec crudité et tendresse, peignant avec vivacité cette existence. De l’humour noir, de l’humour grinçant, de l’humour de potache, des bonnes blagues qui font les vieux amis dans un univers totalement surréaliste.
J’ai hâte à présent de lire Esquisse d’un pendu, repéré sur plusieurs blogs amis.
Le plus souvent, ils serraient quelques litres de réserve si bien que chacun aurait pu s’étancher pour son propre compte, à son rythme, mais il y avait ceci entre eux de rituel : se repasser la bouteille, ce geste, téter la même et, peut-être, attiser l’envie en voyant faire le buveur en face, s’imaginer boire toujours en regardant le litre diminuer dans la gorge de l’autre ou encore, anticiper la fin du litre avec déjà l’idée d’entamer le suivant, faire baisser la gnôle, se foutre des dernières gouttes – c’est pourquoi ils fracassaient souvent le contenant avant que la bouteille ne fût vide.
j'ai beaucoup aimé esquisse d'un pendu mais par contre celui là ne me tente pas vraiment
RépondreSupprimerEsquisse d'un pendu, quel roman!!!
RépondreSupprimerVoilà les deux blogs amis, on les reconnaît facilement !
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