La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 5 novembre 2018

J’ai-tu l’air de quequ’un qui a déjà gagné quequ’chose ?

Michel Tremblay, Les Belles-Sœurs, 1968.

Sur une scène de théâtre, l’intérieur d’une maison modeste. Germaine Lauzon vient de gagner à un concours : un million de timbres à coller sur des livrets pour obtenir tous les cadeaux d’un catalogue (cuisine, meubles, vaisselle…). Elle convie sa fille, ses sœurs et ses voisines pour l’aider à coller. Maladresse, égoïsme, volonté de les épater ? La soirée sera forte en émotions.
Ces femmes collent donc des timbres sur des livrets. Toutes aigries et lasses de leur vie. Une a des prétentions culturelles, parce qu’elle a été en France il y a bien longtemps, une autre se plaint de sa pauvreté. Catholiques, mais hypocrites, bien-pensantes, n’arrivant pas à se décrocher de la conformité sociale. Toutes condamnées à travailler durement, élever les enfants, supporter un mari désagréable et/ou alcoolique, sans espoir d’amélioration. Elles se jalousent, s’envient, s’aident, se supportent, se copient… l’ambiance est à l’amitié amère. Quand débarque Pierrette, celle qu’elles rejettent par-dessus tout, la soirée explose.

Maudit ! J’ai raison d’être en maudit ! J’veux pas crever dans la crasse pendant qu’elle, la grosse madame, a va se « prélasser dans la soie et le velours » ! C’est pas juste ! Chus tannée de m’esquinter pour rien ! Ma vie est plate ! Plate ! Pis par-dessus le marché, chus pauvre comme la gale ! Chus tannée de vivre une maudite vie plate !

Voilà une pièce de théâtre au climat étouffant qui ne respire ni le bonheur ni la joie de vivre. Tremblay met sous nos yeux la trivialité de la vie quotidienne de ces femmes du peuple, dans toute sa violence humaine et ses aspects les plus sordides. On ne se prend pas de sympathie pour elles malgré leurs difficultés. Plus triste encore, aucune, même les plus jeunes, ne semble disposer d’un espoir ou d’une voie pour changer leur vie. 
Une certaine cruauté dans le ton vis-à-vis des personnages m’a un peu tenue à l’écart. Il n’empêche que ces portraits sont brillants.

P. Heward, Anna, 1927, musée d'Ottawa.
J’ai appris au cours de l’été, au hasard d’une soirée télé chez les amis québécois, que cette pièce était culte au Québec, jouée, rejouée, reprise inlassablement. J’étais donc curieuse de la découvrir. Apparemment cette pièce a fait date car c’était l’une des premières à montrer sur scène ce type de personnage avec ces dialogues, cette langue et cette réalité. Quelque chose du monde que l’on n’a pas envie de voir.

Farme donc ta grande yueule, maudite mendeuse ! On le sait que ton mari se fend le cul en quatre pour pouvoir emprunter de l’argent pour te payer des fourrures pis des voyages ! C’est pas plus riche que nous autres pis ça pète plus haut que son trou ! J’ai mon verrat de voyage !



6 commentaires:

Sylvie a dit…

:-)

nathalie a dit…

merci, c'est grâce à toi que je l'ai lu.

yueyin a dit…

j'adore le théatre de tremblay, il y a une finesse et une musicalité incroyable... par contre celle-là est particulièrement cruelle j'avoue :-)

nathalie a dit…

Oui je trouve que les portraits sont souvent très fins, mais ici en effet, quelle cruauté !

isallysun a dit…

Me souvenais plus de tant de cruauté, va falloir que je la relise, pour mon plaisir!

nathalie a dit…

Je trouve que ses romans sont plus tendres que ses pièces de théâtre.