La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 15 avril 2019

Les yeux brillaient sous la capuche de la veste.

Stefan Spjut, La Chasseuse de trolls, traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud, parution originale 2012, édité en France par Actes Sud.

Dans un prologue, nous sommes avec Magnus et sa maman, dans une cabane au milieu de la forêt. Il y a des insectes partout, une chauve-souris maladroite et cette impression bizarre d’être observé.
25 ans plus tard. Tout le monde a oublié que Magnus a été kidnappé cet été là. Le roman suit dorénavant deux fils distincts. Le premier, celui de Seved, un jeune homme qui vit dans une ferme spéciale. Dans la grange, face à la fenêtre, des créatures étranges, qu’il faut nourrir, qui aime regarder les enfants jouer et qu’il faut éviter la nuit. Les « petits » ont l’air inoffensifs. Autant de lemmings, de souris, de lièvres et de renards qui peuplent la forêt. Mais il y a aussi les « grands »… Le second fil est celui de Susso et de sa mère, qui vivent tout au nord de la Suède. Susso est cryptozoologue, elle traque les animaux dont on ne sait pas trop s’ils existent. Justement, on lui a signalé un troll dans un bled paumé.

Des flocons cotonneux flottaient lentement dans l’air. Ils ne tombaient pas mais volaient. Loin d’être pressés de se poser sur le sol, ils remontaient souvent pour mieux redescendre l’instant d’après. Susso adorait ces moments où il neigeait de cette manière. Quand on voyait des houppes duveteuses, joufflues, douces, libres.

Un roman très réussi à mon goût ! L’alternance entre les deux points de vue permet de conserver l’équilibre entre les deux exigences d’un bon thriller : ne pas trop en dire pour effrayer le lecteur et laisser des indices pour que celui-ci soit intrigué sans être perdu. Peu à peu, nous comprenons le rôle tenu par les inoffensifs lemmings et nous comprenons ce qui habite la grange. Nous comprenons aussi ce qui arrive aux enfants enlevés – ce n’est pas forcément ce que l’on croit. On espère bien que Seved et Susso vont s’en sortir – même en y laissant quelques séquelles. L’ensemble baigne dans une ambiance inquiétante, oppressante à certains moments, sans être insupportable. Toutefois, je vous déconseille de lire ce roman à Noël, quand la maison est tout entière décorée de lapins, de chouettes et de renards. Difficile de regarder un animal sans frissonner après cette lecture. C’est d’ailleurs une habileté que de mettre en scène à la fois des trolls gigantesques et féroces, à l’instinct de tueurs, et de tout petits animaux à la fourrure douce et euh…
W. B. Scott, La petite porteuse d'eau, 1863, Ottawa.
L’idée fausse la plus répandue a trait au caractère particulier des nuits polaires. Les gens croisent souvent qu’en hiver il fait noir comme dans un four vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; et beaucoup se sentent bernés, sinon déçus, quand ils se rendent compte qu’il en va tout autrement. Le jour, ils sont pour ainsi dire éblouis par cette opacité absente qu’ils s’attendaient pourtant à découvrir. C’est tout ? Il ne va pas faire plusnoir que ça ? semblent-ils demander.

Un autre ingrédient qui contribue à la réussite du roman, c’est le réalisme avec lequel la Suède contemporaine est évoquée. Longues heures de voitures sur les routes enneigées, abondance de Volvo de diverses tailles, halte sur les aires d’autoroute à la décoration soigneusement décrite (avec ce goût pour le folklore same qui prend ici une tonalité particulière), bougies de Noël, gâteaux et grandes tasses de café. Les trolls n’évoluent pas dans un environnement exotique ou éloigné de la civilisation, ils habitent le garage des voisins ou le square d’à côté et les humains les côtoient, plus ou moins consciemment. Tout cela forme un roman cohérent et solide, qui tient bien sur ses pattes.
Mon unique bémol concerne une petite facilité qui permet de résoudre toutes les difficultés en fin de volume, mais bon, il faut bien finir.
La quatrième de couverture précise qu’il s’agit de la première partie d’un diptyque. Si ce roman se lit de façon parfaitement autonome (il y a une fin), les pistes ouvertes restent en effet nombreuses – mais cette bonne femme à la main poilue et griffue ??? 😱et quelques questions restent sans réponse – mais d’où vient l’argent ? Bref, je lirai la suite avec plaisir !

Seved posa la cage sur le siège passager. À travers un pli de la couverture, il vit que le grillage se bombait au-dessus d’une caisse en plastique grise et que des brins de paille dépassaient. Il n’y avait pas un bruit à l’intérieur. Ils dormaient sans doute. Pelotonnés les uns contre les autres et, du moins fallait-il l’espérer, si profondément qu’ils ne se réveilleraient pas pendant le trajet. C’était la croix et la bannière d’avoir des lemmings dans la voiture. Surtout quand ils ne connaissaient pas le chauffeur.

Merci Babelio et Actes Sud pour cette lecture.

8 commentaires:

  1. Pas du tout mon créneau de lecture, mais...; depuis Sinisalo, les trolls ça me va!

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    1. C'est précisément ce qui m'a motivée à demander ce livre : oh un truc nordique avec des trolls, comme Sinisalo. Un style très différent. Mais j'aime la façon dont le surnaturel côtoie la vie quotidienne.

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  2. Dans ma PAL, mais il est gros... je vois que toi, tu fais dans le pavé en ce moment...

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    1. Oui, je me repose d'un livre de 1200 pages en en lisant des petits de 600, je suis tombée sur la tête !

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  3. je suis totalement insensible aux contes, aux trolls et autres récits de ce type
    je passe ouf ma liste n'est même plus possible à tenir

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    1. Chacune ses astuces pour diminuer la hauteur de la tour de Pise des livres à lire !

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  4. Tiens, ça a l'air original tout ça ! Et comme toi et Keisha, je pense évidemment à Sinisalo !

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    1. Oui ça y est, les blogs sont contaminés par Sinisalo !

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