Deni Y. Béchard, Remèdes pour la faim, traduit de l’anglais par Dominique Fortier, parution originale 2012, édité au Québec par Alto.
Un début d’autobiographie.
Deni raconte son enfance, dans une maison près de Vancouver, avec son frère et sa sœur, avec une mère ennemie des produits chimiques et toujours inquiète et un père au comportement imprévisible et dangereux, mais qu’il admire profondément. Un homme aimant se bagarrer, rusant avec la police et aimant jouer avec les interdits La famille se déchire progressivement jusqu’à ce que la mère embarque les enfants et les emmène jusqu’aux États-Unis, sachant que le père ne pourra pas passer la frontière. Une fois adolescent, Denis fait connaissance avec le passé de son père – un braqueur de banques.
Par la suite, ils avaient sillonné la Colombie-Britannique, dormant dans une camionnette, vivant de la pêche, une existence qui me faisait rêver : se réveiller le matin, sortir et aller droit à la rivière, pas de chambre à ranger, pas besoin de se soucier de l’école. Mais ils avaient décidé de se ranger et d’avoir des enfants, et ainsi ma vie parfaite avait pris fin juste avant ma naissance.
Un gros livre qui n’est pas un roman et qui est écrit plutôt platement. J’avoue avoir sauté un bon paquet de pages. Et pourtant, difficile de se désintéresser de cette histoire. Béchard raconte sa passion pour la lecture et l’écriture, tout petit, son goût pour inventer des histoires, sa fascination pour les histoires de fin du monde. Il raconte le couple formé par ses parents et surtout son père qui, lui-même, a toujours des tas d’anecdotes et d’histoires formidables à raconter – pour éviter de raconter sa propre histoire. Ce n’est qu’après la mort de ce père bien encombrant qu’il sera possible de remonter le temps et de rencontrer les grands-parents.
L’ensemble est assez touchant, d’autant que l’auteur réfléchit de façon intense sur le souvenir et la mémoire, sur la transmission, sur ce qui fait le fond d’une personnalité, sur la nécessite vitale de raconter l’histoire et de raconter des histoires. Il retranscrit très bien le climat d’instabilité, d’incertitude et d’inquiétude dans lequel baigne sa famille, alors même qu’il y a également beaucoup d’amour entre eux tous.
C’est aussi une histoire entre États-Unis et Canada, où l’on sillonne les routes, où l’on pêche.
Le plaisir de sacrer – de jurer en anglais, mais aussi en français, puisque le père de l’auteur est Québécois. Quand le petit garçon découvre le pouvoir de certains mots sur les autres.
C. Oldenburg, Soft Screw, 1976, lithographie, Caen BA. |
Plus tard, couché dans mon lit, je me désolais de ne pas comprendre ce qui se passait – la raison pour laquelle mes parents s’ignoraient mutuellement et ne riaient presque jamais. J’ai contemplé le plafond noir jusqu’à ce que la maison soit plongée dans le silence et suis resté ainsi tellement longtemps que j’ai cru m’endormir. Et puis, au rez-de-chaussée, des pas ont lentement traversé le plancher de bois et se sont arrêtés, comme si quelqu’un restait debout à réfléchir, se demandant où aller ou quoi faire, comme si la personne avait trop peur pour esquisser un geste. Même à cet instant, à mon insu, tant de choses pouvaient être en train de se produire. Je pourrais me réveiller pour découvrir le monde métamorphosé : des sirènes et des détonations pourraient nous forcer à nous cacher dans un abri souterrain, des créatures sans visage pourraient me capturer, m’attacher à une table et brandir des couteaux.
Ma mère nous conseillait tout le temps de lire, mais savait-elle que les livres me donnaient envie de courir dehors et de respirer l’air qui descendait des montagnes, de sentir les champs humides et la boue en train de sécher, d’écouter crisser la mélique sous mes pieds ? Les histoires étaient comme des sentiers. En sortant dehors et en regardant, on voyait le monde, juste le monde, mais en sortant après avoir lu une histoire, on découvrait un monde où tout pouvait arriver, comme si derrière les montagnes se déployaient cent pays pour lesquels j’aurais pu partir, mes quelques possessions emballées dans un mouchoir rouge.
Merci Sylvie pour la lecture !
C'est un plaisir de te procurer du "québécois" .
RépondreSupprimerUn peu mitigée sur celui-ci, tu l'auras compris, mais merci !
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