La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 14 janvier 2020

On dirait parfois qu’un seul et même chemin mène au bonheur et au désespoir – mais à part ça, tout va bien, non ?

Jón Kalman Stefánsson, Ásta, traduit de l’islandais par Éric Boury, parution originale 2017, édité en France chez Grasset.

Le roman nous raconte la vie d’Ásta, une femme dont la vie a connu quelques catastrophes, mais qui s’en est remise et qui continue à vivre. Il y est tout autant question de son père Sigvaldi et de sa mère Helga, ainsi que de quelques autres. Nous avons un portrait de groupe, aux liens parfois serrés, parfois lâches, liés par l’amour, mais aussi par la haine, par le regret et par le souvenir – et surtout par tout ce qu’ils n’ont pas osé se dire.

Sigvaldi observe son verre et secoue la tête. Quelle injustice que cette bouteille soit vide. Que les verres se terminent, que les phrases s’achèvent, que le jour s’éloigne, que les rêves se dissolvent. 

C’est très beau et très triste. Parce que bien sûr on s’aime et les gens parviennent à être heureux, mais pour cela ils sont passés par les affres du déchirement, du chagrin et de la douleur. Parce qu’ils ne parviennent pas à partager leur vie et que les voilà réduits à parler à un mort ou à parler quand ils sont morts. Parce que tout sombrera dans l’oubli. C’est peut-être une perception personnelle (la solitude me rend sentimentale), car j’imagine que l’on peut aussi voir que l’envie de vivre, le désir et le rire ne s’arrêtent jamais. L’envie de vivre et de trouver le bonheur ne quitte après tout jamais les personnages, malgré le ciel bien gris. Moi, j’ai tendance à les voir ne jamais s’arrêter et disparaître dans le néant.

Mais n’oublions pas non plus que certains forcent l’admiration, s’attirent la renommée, parce qu’ils n’hésitent pas à affronter les tempêtes de ce monde, alors qu’en réalité, ils s’y réfugient. On peut même aller jusqu’à dire qu’ils se jettent à corps perdu dans ces tempêtes afin de ne pas avoir à se débattre avec leurs démons personnels. À regarder en face leurs sentiments les plus intimes et les plus embarrassants.
Zadkine, Sainte famille, Musée zadkine

La grande réussite du roman réside dans la façon dont la narration croise les fils. Du point de vue d’Ásta, jeune ou âgée, à celui de Sigvaldi, à celui d’un romancier extérieur à l’histoire dont on comprend tardivement comment il se rattache à tout cela (mais ce n’est pas très important et il aura une triste fin). C’est l’arbitraire du romancier après tout, de prétendre raconter d’une façon ou d’une autre. Cet aspect fragmentaire, avec ses béances, ses avances, ses échos de moments passés, ses accélérations et ses longs retours en arrière, rend le récit très riche et dynamique et traduit bien la fragilité de l’existence humaine.
Ce portrait de deux générations permet aussi d’avoir une évocation de l’Islande, minuscule pays sans soleil grandi trop vite après la guerre. En quelques années, l’économie des paysans a disparu pour faire place à la ville, à une mondialisation accélérée, aux changements des modes de vie, aux touristes trop nombreux. Cette thématique est moins prégnante que dans le précédent, mais tout de même bien en arrière-plan de ces existences un peu bancales.
Finalement, rien ne vaut une bonne soirée à boire du vin avec des amis, en écoutant de la bonne musique. Il y a beaucoup de mélancolie et de Nina Simone.

Ah ça non, ce pays n’a pour ainsi dire aucune couleur. Eh oui, comme s’il sortait complètement mort de l’hiver et de la neige. Ailleurs dans le monde, c’est le printemps, les oiseaux chantent, on commence à sentir la chaleur du soleil entre les maisons à Reykjavík, là-bas, il y a du vert alors qu’ici, on se déplace péniblement entre les congères et, même si le soleil rutile comme une trompette dans le bleu du ciel, il ne réchauffe pas.

L’avis de Jérôme et de Miriam.

Stefánsson sur ce blog :
Entre ciel et terre - très envie de le relire et de finir la lecture de la trilogie.
D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds - pas trop aimé celui-ci.

12 commentaires:

Dominique a dit…

je ne connaissais pas cette Sainte Famille, c'est magnifique

nathalie a dit…

J'aime beaucoup Zadkine ! Ses oeuvres sont dispersées entre les différents musées des BA et le musée Zadkine à Paris. Il me semblait que cette famille si soudée formait un beau contrepoint à celle du roman.

miriam a dit…

Contrepoint avec la sculpture, pourquoi pas? Contente que tu aies aimé le livre!

nathalie a dit…

Oui, je le trouve beau et émouvant.

Ingannmic, a dit…

On en apprend toujours, ici (je ne connaissais pas Zadkine).
Cet auteur m'est inconnu, contrairement à toi, qui semble l'apprécier, mais Asta a rejoint mes étagères lors de sa sortie en poche, car ce qui se dit notamment à propos de sa construction m'intrigue et m'attire beaucoup..

nathalie a dit…

J'avais beaucoup aimé Entre ciel et terre, qui est le début d'une trilogie. Je crois que beaucoup l'ont découvert grâce à ce titre - en plus du fait que l'Islande est à la mode. Je pense qu'Asta te plaira !

keisha a dit…

Bizarrement, je tourne autour de ce livre, maintenant i lest plus disponible à la bibli.
Ah oui, tiens, visiter le musée Zadkine (après la grève SNCF)

Lili a dit…

Je suis ravie qu'il t'ait plu ! Je l'avais beaucoup beaucoup aimé aussi !

nathalie a dit…

J'avais été déçue par le précédent, du coup je ne me suis pas jetée sur celui-ci. J'ai attendu qu'on me le prête.

nathalie a dit…

Oui, il est très réussi !

Karine a dit…

J'adore cet auteur. Et j'ai un excellent souvenir de ce roman.

nathalie a dit…

C'est un très bon auteur ! J'ai envie d'en lire davantage du coup.