Jean Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, Gallimard.
Plaisir de relecture.
Nous sommes en Provence, dans les années 1830 comme on le comprend, Angelo se dirige à cheval vers on ne sait où. Dans le même temps où il pénètre dans les collines, les malades commencent à tomber et à mourir. Le choléra est là.
Assez rapidement, ils entrèrent dans une forêt de sapins clairsemés qui ronronnait comme un chat. La lune se levait dans un ciel brouillé.
C’est l’argument principal du roman, un grand roman d’aventures. Il faut attendre la centième page pour que d’errance en errance Angelo entre dans Manosque et que le lecteur comprenne que c’était là où il voulait aller. D’allusion en allusion, on comprend que l’on a affaire à un révolutionnaire italien (Piémontais !), ce qui ne dit pas forcément grand-chose à un lecteur français de 2019 d’ailleurs. Bien plus loin dans le roman, notre compréhension s’améliore, mais restera toujours parcellaire, car ce n’est sans doute pas ce qui importe.
L’important est-il d’ailleurs le choléra ? Pas sûr… plutôt l’état de folie où il met les hommes et la proximité de la mort qu’il apporte. Pour Angelo, c’est l’aventure.
Nous le suivons, échappant aux soldats et aux milices des habitants, s’évadant de quarantaine où l’on parque les gens, cherchant de la nourriture dans une contrée où tout est contaminé (et nous sommes avant l’ère de la boîte de conserve), trouvant plus ou moins son chemin parmi les collines, les vignobles, les petits chênes et les oliviers. Et puis, il y a le passage à Manosque et cette vie sur les toits, qui occupe à peine 100 pages, mais qui donne son titre mystérieux au roman. Il y a aussi la jeune femme, se présentant tardivement comme Pauline. Courageuse, on en saura à peine plus sur elle. Angelo la traite comme un compagnon d’armes, avant que Giono ne nous fasse comprendre très subtilement l’évolution des sentiments.
L’épidémie de choléra donne lieu à quelques évocations particulièrement frappantes : celle des cadavres qui jonchent les rues dans les positions les plus incongrues, la mort ayant dépouillé les êtres humains de toute dignité, identité et pudeur, celle des oiseaux qui mangent les cadavres et qui apparaissent dès lors comme des signes funestes (même les gentilles hirondelles et les rossignols et les papillons s’y mettent). Les bûchers où l’on brûle les morts.
Il devait être à peu près midi. Le soleil tombait d’aplomb. La chaleur était, comme la veille, lourde et huileuse, le ciel blanc ; des brumes semblables à des poussières ou à des fumées sortaient des champs de craie. Il n’y avait pas un souffle d’air, et le silence était impressionnant malgré les bruits des étables : bêlements, hennissements et coups de pied dans les portes qui faisaient à peine comme le bruit d’une poêlée d’huile sur le feu au fond de la grande chambre mortuaire de la vallée.
Le roman est censé faire partie d’un cycle, mais il fonctionne de façon tout à fait autonome, comme un épisode singulier de la vie d’Angelo, un homme qui traverse la mort comme un jeune héros. On a incontestablement affaire à un héros stendhalien : un italien, soucieux de gloire et d’honneur, qui se comporte comme s’il était en permanence en représentation, ayant besoin de montrer qu’il n’est pas un lâche en toute occasion. Plusieurs motifs rappellent irrésistiblement La Chartreuse de Parme, comme cette errance au cœur d’un événement incompris qui dépasse l’individu, le motif de l’enfermement, le goût pour la geste soldatesque… Il est d’ailleurs amusant qu’un pacifiste comme Giono ait réussi à camper un personnage d’officier aussi fringant. On trouve aussi, comme chez Stendhal, une grande part d’humour. Angelo est sans cesse en train de railler ses contemporains (ah ! les bourgeois), mais également lui-même. Cette autodérision contribue à donner une atmosphère de théâtre à ce drame. Angela éprouve le besoin irrésistible de montrer de l’audace et du panache, au lieu de faire bêtement ce qu’il y a à faire comme tout le monde. Il est au comble du bonheur au moment de sortir les armes et de se battre.
Ce n’est pas la première fois que je veux tuer des mouches avec un canon. C’est la cent millième fois.
« Peuple, je t’aime ! » dit Angelo à haute voix. Mais tout de suite il eut scrupule et il se demanda si en réalité il n’aimait pas le peuple comme on aime le poulet.
Difficile de ne pas penser à La Peste, paru seulement quelques années avant. Giono est romancier avant d’être philosophe. Toutefois, le choléra apparaît également comme un moyen de révéler ce qu’il y a de meilleur ou surtout de pire, disons de sincère et d’authentique, chez l’être humain. Les personnages y sont ambigus, y compris ces révolutionnaires italiens dont on ne sait pas bien d’où ils sortent. La maladie n’y est guère décrite de façon réaliste, même si le corps a une présence concrète, avec ses immondices diverses. Ici, les héros se vident par tous les orifices et c’est écrit très clairement.
Il y a aussi la Provence, la très belle et très dure description du soleil et de l’épouvantable chaleur de l’été, du ciel aveuglé de soleil, des orages et des chemins.
Et il y a beaucoup de polenta.
Sur les talus brûlés jusqu’à l’os quelques chardons blancs cliquetaient au passage comme si la terre métallique frémissait à la ronde sous les sabots du cheval. Il n’y avait que ce petit bruit de vertèbre, très craquant malgré le bruit du pas assourdi par la poussière et un silence si total que la présence des grands arbres muets devenait presque irréelle.
Il y avait quelque chose de fade et d’écœurant dans cette monotonie de grisaille et de désert. La sève amère des buis imbibait l’air. Les épines des ronces, les aiguilles des genévriers, les herbes ligneuses qui se cramponnaient comme des araignées sur de toutes petites croûtes de terre pulvérulente et verte irritaient le regard. La tristesse était dans le pays comme une lumière.
M. Serre, Vue de l'hôtel de ville de Marseille pendant la peste de 1720, 1721 Marseille BA. |
J’ai réécouté ce reportage sur la peste de 1720 en Provence. Un siècle d’écart, mais cela aide à faire comprendre les contraintes concrètes que pose une telle épidémie et la part d’invention de Giono.
Du coup, j’ai revu le film de Rappeneau. Je le trouve très réussi et très différent du roman.
Le film tire beaucoup plus vers l’aventure. Les relations d’Angelo avec le combat italien contre l’Autriche y sont plus explicites (avec la mention de faits qui se trouvent dans d’autres romans de Giono), les affrontements avec l’armée et les péripéties diverses davantage mises en valeur. De ce fait, nous perdons l’aspect contemplatif de cette loooongue entrée en matière avant l’arrivée à Manosque où l’on ne sait pas ce que cherche cet Angelo à cheval et de l’interminable errance de Pauline et d’Angelo avant d’arriver à Gap, perdus dans les oliviers et les chênes. Ce n’est pas une critique, je comprends très bien qu’un film ne privilégie pas les mêmes effets, mais l’impression produite est très différente. Je trouve également que la population est moins bien traitée dans le film, montrée sous un angle très négatif (cupidité, ignorance, terreur), et que les ambiguïtés de bien des personnages disparaissent. L’horreur du choléra est très bien rendue, vu que j’en ai cauchemardé. Enfin, je trouve qu’Olivier Martinez campe parfaitement cet Angelo fier jusqu’à l’excès, voire jusqu’au ridicule, très conscient d’être un héros romantique, et en cela, tout à fait fidèle au personnage de Giono. Juliette Binoche incarne très bien Pauline de Théus. Et le chat a un très grand rôle !
Giono sur le blog :
Colline - Le Déserteur - Deux cavaliers de l'orage - Ennemonde et autres caractères - Le grand troupeau - L'Homme qui plantait des arbres - L'Iris de Suse - Le Noyau d'abricot et autres nouvelles - Un de Baumugnes
Ce billet beaucoup trop long traduit-il mon enthousiasme ? !
Il va bien falloir que je découvre... Sur ce coup là je suis en retard!
RépondreSupprimerÀ force d'aller vadrouiller dans les montagnes lointaines, on en oublie le bled de Provence !
Supprimeroui oui il traduit bien, curieusement ce n'est pas le cycle du hussard que je préfère chez Giono, je l'aime évidement mais je préfère les Chroniques
RépondreSupprimercependant il y a des passages extraordinaires et je te suis tout à fait l'adaptation de Rappeneau est très réussie et les acteurs sont splendides : tient je vais ressortir le dvd et m'offrir une nouvelle vision merci à toi je vais sortir de la grisaille lyonnaise pour partir en Provence
Je comprends que ces romans un peu historiques-psychologiques ne soient pas forcément ce que l'on préfère. J'ai lu plusieurs des Chroniques et en effet, elles sont très très fortes et intenses.
SupprimerMais j'avoue que j'aime un peu tout.
Ce billet n'est pas du tout beaucoup trop long mais par contre, oui, il est plein d'enthousiasme et me donne terriblement envie de lire le livre. Je n'ai que vu le film. Ces 100 pages sur les toits m'intriguent: 100 pages, ce n'est pas rien!
RépondreSupprimerCes 100 pages sont au milieu du roman, Angelo passe plus de temps à cheval que sur les toits, mais il s'agit du coeur !
SupprimerIl n'est pas trop long et il est passionnant. Tu analyses très justement le roman de Giono et la comparaison avec le film est intéressante. Ce roman est une de mes préférés de Giono, et j'avais beaucoup aimé le film.
RépondreSupprimerJ'ai pu lire/voir les deux de façon rapprochée, donc j'en ai profité pour essayer de les comparer ou de noter leurs points forts respectifs.
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