La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 2 juillet 2020

Quant à moi, plus glacé qu’un hiver gaulois, j’étais incapable d’émettre le moindre son.

Pétrone, Satiricon, traduit du latin par Liza Méry, entre 60 et 120 ap. J.-C. lu dans l’édition des Belles lettres, Romans grecs et latins.

Cela commence in medias res au milieu d’un couple à 3 gens de jeunes hommes. Le narrateur et un ami se disputent le corps du jeune Giton. Il y a une histoire de manteau volé, de coups de bâton et une orgie à Priape un peu compliquée, et puis le narrateur nous raconte un long banquet chez un affranchi, un nouveau riche très riche, ignorant et plein de mauvais goût. Une fuite en bateau, un naufrage, une mascarade destinée à tromper les habitants de Crotone, etc. On a le sentiment que cela ne pourrait jamais s’arrêter.

Je vais te dire pourquoi, à mon avis, nos petits jeunes gens deviennent de parfaits imbéciles en fréquentant les écoles : c’est parce qu’ils ne voient ou n’entendent rien qui appartienne au monde normal. À la place, ce ne sont que pirates enchaînés sur le rivage, tyrans ordonnant aux fils de trancher la tête de leurs pères, oracles exigeant l’immolation de trois jeunes filles ou plus pour faire cesser une épidémie, périodes mielleuses et mollement arrondies. Tous leurs propos, tous leurs faits et gestes, ont l’air saupoudrés de pavot et de sésame.

Ce texte antique nous est parvenu par des manuscrits incomplets. Il manque le début et la fin, et pas mal d’épisodes et le lecteur est réduit faire à des hypothèses. Cet aspect fragmentaire renforce considérablement l’aspect de roman picaresque de la chose. Le narrateur et son Giton chéri font partie de ces pauvres hères, allant de ville en ville, vivant à la solde des dupes ou d’un protecteur, fuyant la police, prenant des coups de bâton, s’aimant, se déchirant, se réconciliant, le tout dans une mécanique bien huilée. On ne s’ennuie pas et les épisodes les plus rocambolesques s’enchaînent.
Chaque ville ou maison ou auberge semble un labyrinthe. Les personnages sont déguisés ou adoptent un comportement contraire à ce qui attendu d’eux d’après leur sexe ou leur rang social. Les nourritures du festin sont trafiquées et il est impossible de les reconnaître. Au jeu des faux-semblants, tout est possible. Il y a aussi un poète fou furieux qui fait des vers en plein naufrage. 
Le roman manifeste un goût pour le mélange et la forme brève, avec l’insertion de plusieurs récits secondaires. Les héros et les auteurs classiques sont désacralisés.
On n’est pas ici parmi les dieux et les nobles héros aux cœurs purs. On mange, on boit. On se saute dessus, hommes ou femmes (mais surtout les hommes), sauf quand le héros souffre d’impuissance et qu’il détourne des vers de Virgile pour se lamenter sur son sexe mou. On dit clairement son désir d’être pris ou prise par l’un ou par l’autre. En cas de souci, on se tourne vers la sorcellerie ou vers le culte du dieu Priape, dont les servants sont plus sensibles à l’or qu’à leurs obligations religieuses. Ce roman est une joyeuse danse endiablée, une ronde, où la prose et les vers se mêlent, où le narrateur bafoue la noble littérature épique, où l’on parle un langage peu châtié, voire franchement vulgaire.
C’était une bonne lecture !
Silène, Groupe de la route de Beaucaire, IIe siècle, Nîmes musée de la Romanité.
Sans même jeter un regard à mes mains ou à mon visage, baissant aussitôt les yeux, il tendit une main empressée vers mon sexe et dit : « Bonjour Encolpe ! » Allez vous étonner, après cela, que la nourrice d’Ulysse ait reconnu à sa cicatrice un homme parti vingt ans auparavant, quand cet habile homme se montra assez sagace pour aller directement, malgré mon déguisement, à la preuve décisive de mon identité !

À propos de la langue, Wikipedia m’apprend ceci : 
Longtemps qualifiée de vulgaire, car étant celle de la classe des affranchis, la langue du Satyricon paraît au contraire une innovation antique. Elle contient en effet de nombreux hapax, c’est-à-dire des termes qui ne sont attestés qu’une fois et dont, par conséquent, le sens exact est parfois difficile à déterminer. Ces hapax sont si nombreux qu'ils ont fait l'objet d'une étude spécifique menée par Giovanni Alessio, à tel point que Michel Dubuisson parle de Pétrone comme d'un « San-Antonio latin ».

Le Pétrone à qui le texte est attribué ne semble pas être le même Pétrone que celui de Néron et de Quo Vadis.

4 commentaires:

keisha a dit…

Purée, ça m'a l'air chaud bouillant ce classique!

Dominique a dit…

ah moi j'ai calé, j'aime les textes antiques mais là je n'ai pas réussi à entrer dans la danse

nathalie a dit…

Ah ce n'est pas très propre. Faut aimer être fouetté.

nathalie a dit…

Avec les lacunes le début est un peu difficile et brutal. On ne comprend pas grand chose. Et le récit du festin comporte des longueurs. Mais c'est tellement curieux et bizarre que j'ai suivi la troupe.