Evgueni Vodolazkine, Les Quatre vies d’Arseni, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton, parution originale 2012, édité en France par Les Syrtes.
On est quelque part au XVe siècle dans un coin paumé de Russie. Un petit garçon vient au monde, il s’appelle Arseni, il deviendra un saint, un guérisseur, un homme qui cherche à racheter son péché et qui attend un signe de Dieu, un homme qui erre, à la renommée immense. Le roman raconte sa vie.
C’est un grand roman russe, dans la boue, la forêt, les steppes, dans les villages misérables et les petites villes. Nous passons auprès de tout un peuple de paysans et de commerçants, de prêtres de diverses sortes (c’est le clergé orthodoxe). Les fous de Dieu sont assez nombreux pour se répartir un territoire. Les saints peuvent marcher sur l’eau de la rivière. C’est un monde mystique où l’on devient ami avec un loup et où la divinité envoie des signes.
Les dernières feuilles de la rive furent emportées dans l’eau noire du lac. Les feuilles roulaient en désordre sur l’herbe brune puis tremblaient sur les vaguelettes. Elles flottaient, s’éloignant de la rive. Tout au bord de l’eau on voyait les profondes empreintes des bottes des pêcheurs. Ces creux étaient pleins d’eau et semblaient être là de toute éternité. Laissés une fois pour toutes.
Arseni est un personnage attachant. Nous sommes au cœur de ses pensées, de ses doutes, de ses remords, de sa logique aussi qui l’amène à se dépouiller de tout, de sa bonté et de sa foi. Nous parcourons le trajet qui va de son enfance à sa vieillesse sans conscience du temps qui passe. Pourtant, le siècle est eschatologique, car la fin du monde doit se produire en 1492 et il importe de bien mesurer le temps et de se préparer. Si Arseni est un saint, ce n’est pas parce qu’il est au-dessus des contingences du monde. Humain, très humain, il a commis une lourde faute et fait ce qu’il peut à sa mesure pour la réparer. Il soigne, mais sans illusion sur ses pouvoirs ou sur les priorités des herbes qu’il ramasse. Il soigne parce que les gens ont confiance en lui. Le jour où cette confiance défaille… Pas question pour lui de se sentir supérieur à l’un ou l’autre de ses contemporains. J’ai aimé la belle amitié qui le lie à Ambrogio, un Italien qui prédit l’avenir et nous raconte le XXe siècle en des visions saisissantes. J’ai aimé aussi sa découverte émerveillée de Venise, ville enchantée.
Chagall, La Prophétie d'Isaïe sous l'inspiration divine, 1952, eau forte, Nice Musée Chagall. |
Il pleurait parce qu’il avait peur de perdre Silvestre et qu’il était incapable de l’aider. Il pleurait sur tous ceux qu’il n’avait pas pu sauver. Il se sentait responsable devant eux et il n’avait personne avec qui partager cette responsabilité. Il pleurait sur sa propre solitude, qui en cet instant lui fut comme une brûlure.
Le temps passe et les saisons s’écoulent. Pourtant tout est suspendu dans une certaine éternité. Ce roman contient, insérées, beaucoup d’histoires : les préceptes de morale et de religion, les vies des saints, la vie d’Alexandre le Grand, les récits de voyage fantastiques avec des hommes à deux têtes ou à plusieurs bras. Il y aussi le récit effrayant d’un accouchement quand cela se passe mal et les épidémies de peste qui passent et repassent.
On a l’impression qu’Arseni existe, mais en fait non.
Avec l’apparition de la lune, on aurait dit que le froid s’intensifiait. Arseni avait l’impression que c’était la lune qui versait ce froid argenté inondant la terre. Il faillit plaindre son corps transi, mais se souvint aussitôt qu’il était avili par les habits étrangers et les poux, et la pitié le quitta. Ce n’était plus son corps. Il appartenait aux poux, à celui qui avait porté ces vêtements, au gel. Pas à lui.
Merci à Babelio et aux éditions des Syrtes pour la lecture !
Evgueni Vodolazkine est ukrainien... Il est né à Kiev au temps de l’URSS. Il écrit en russe, vit en Russie et c’est un historien de la Russie.
Je ne sais pas... Cela m'a l'air un poil trop russe pour moi...
RépondreSupprimerIl n’y a pas beaucoup de vodka, mais de la neige, de la boue et des fous de Dieu.
SupprimerJe fais attention à ne pas me laisser aspirer dans le trou sans fond de la littérature russe, mais celui-ci me tente bien. Ce regard russe sur la Russie et l'Europe du XVe, ça ne se refuse pas!
RépondreSupprimerJe ne veux pas t’influencer, loin de moi cette idée, mais j’étais sûre que tu l’avais chroniqué ! En tout cas, beaucoup aimé.
SupprimerÇa a l'air rudement -ou "russement"- bien !
RépondreSupprimerTout à fait !
Supprimer