La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 11 mai 2021

Voir un anarchiste obtenir le portefeuille de la Justice est une chose à laquelle on assiste une fois dans sa vie.

 Max Aub, Le Labyrinthe magique tome 2 : Campo abierto, parution originale 1951, traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet, édité en France par les Fondeurs de briques.

 

La guerre d’Espagne.

L’action se déroule durant quelques mois de 1936. D’abord à Valence, où le point de vue se déplace de personnages en personnages : ceux qui sont fidèles au gouvernement, ceux qui sont tout fiers d’avoir des responsabilités dans la guerre, ceux qui trahissent, ceux qui se débrouillent, ceux qui ne savent pas s’ils doivent partir ou non. Puis quelques pages auprès de ceux « de l’autre côté », phalangistes dans le même état moral. Enfin à Madrid, qui s’apprête à résister aux troupes rebelles -  no pasarán.


Jorge portait une salopette bleue, et la révolution était un fait. Le poids du revolver lui démontrait que tout cela était vrai : l’heure était venue, tombée du ciel, sans qu’il eût fait quoi que ce fût pour qu’elle arrive. Les militaires, la réaction, s’étaient chargés de lui faire faire le tour du monde. Comme une omelette lancée dans les airs. La vieille Angeles, là-bas au village, devant son fourneau et tenant la poêle par le manche.


C’est un excellent roman qui nous plonge non pas tant au cœur de la guerre qu’au cœur des affres et des atermoiements des Espagnols. Nous suivons certains personnages sur l’ensemble du volume et d’autres seulement sur quelques pages. Il y a ce très beau couple de Vicente et d’Asunción sur lequel veille l’auteur. Autour d’eux, les hommes terrifiés à l’idée de porter des armes et ceux qui en sont fiers, les exécutions sommaires, les actes de courage et de lâcheté, une troupe de théâtre itinérant, avec tous ceux qui hésitent entre la fidélité à l’amitié ou aux consignes du parti.


C’était l’aube naissante et tout, dans la rue, semblait baigné dans l’absinthe. Un coq chantait et le petit air de l’aurore promenait un bout de papier sur le trottoir en faisant un léger bruit.


La dernière partie sur Madrid est très belle. On a d’un côté les discours enflammés et contradictoires sur la liberté et le sens de l’histoire, l’humanité et le communisme, le sacrifice et le devoir, collectif ou individuel, et l’union de tout un peuple pour défendre sa ville. Aub énumère ainsi les membres du bataillon des garçons coiffeurs et des barbiers, comme s’il s’agissait de personnes ayant réellement existé et qu’il serait important de mentionner quelque part pour leur rendre hommage. Il recrée une foule, un peuple, avec les petits détails concrets d’une vie quotidienne ordinaire et pas glorieuse, ceux qui ont placé des matelas devant les fenêtres et qui se sont relayés pour utiliser les rares fusils disponibles. Car il y a un fusil pour trois hommes, mais dès que l’un est touché et meurt, il y a quelqu’un pour le relayer.


Sur quoi peuvent-ils compter ? Sur le moral. C’est indéniable. La ville les soutient, et ils ne veulent pas abandonner Madrid à l’ennemi. Pourquoi ? Parce que Madrid c’est Madrid. Parce que Madrid c’est maintenant toute l’Espagne. Parce qu’abandonner Madrid, c’est s’avouer vaincu, tout simplement. Parce que si Madrid est perdu, tout est perdu. C’est perdre la raison, perdre la tête. Ils y sont attachés parce qu’elle leur appartient.


C. E. Martínez, Puerta del Sol, 1900, Madrid Musée municipal

On trouve aussi l’évocation d’Hemingway dans le personnage d’un journaliste américain, les œuvres d’art du Prado évacuées ou mises à l’abri, du football, l’odeur de fleur d’oranger à Valence, un chirurgien, un orateur quasi professionnel décrit avec beaucoup d’humour et le rappel constant de la lutte victorieuse des Espagnols contre les troupes de Napoléon.

C’est un magnifique hommage à cette héroïque population madrilène.

Pourtant, l’angoisse est palpable. L’avancée inexorable des troupes de Franco est décrite sobrement avec un « ils ont atteint » suivi d’un nom de ville » qui scande le roman et raconte le lent encerclement.

Le volume s’achève plein d’espoir, avec l’arrivée des camions des Brigades internationales. Peut-être qu’ils ne passeront pas finalement…


Le Labyrinthe magique raconte la guerre d’Espagne en six volumes indépendants (ce n’est pas une série), comme un long portrait composite des Espagnols. Ainsi que le titre l’indique, chacun semble pris dans une trajectoire qui le dépasse, dont il ne sait où elle le mène, qu’il n’a pas choisie. À chacun ou presque de se cogner dans la complexité des faits.

La langue est sobre et superbe, elle est volontiers mordante.

 

Elles ne se parlaient pas depuis trois ans à cause d’un problème épineux, à savoir laquelle des deux savait correctement purger les escargots.


Templado se tut. C’était un lever du jour moche : un ciel bas, gris, fermé, saturé de fumée et de brume, sans horizon.

On aurait dit la fin du monde.

 

J’ai acheté immédiatement le volume 3.

Max Aub ayant eu 4 nationalités différentes (espagnole, française, allemande et mexicaine), il peut concourir pour presque tous les challenges des blogs littéraires. Je l’inscris ici pour le mois espagnol de Sharon.



9 commentaires:

  1. Heu làje ne me sens pas tellement intéressée, désolée...

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  2. Par contre moi oui, je suis intéressée. La guerre d'Espagne me passionne. J'ai déjà lu beaucoup sur le sujet et vu un très bon film sur le sujet : Lettre à Franco ! Comment on passe de la république à la dictature !

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    1. Là d’après ce que je comprends les six volumes traitent de la guerre elle-même. Je verrai bien ! C’est de la grande littérature.

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  3. Je rejoins le camp de Claudialucia, c'est un sujet qui me passionne ! Mais 6 volumes, si je comprends bien ??!...

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    1. Mais ce n'est pas une série, donc tu n'es pas obligée de tout lire(si tu n'est pas aussi folle que moi). Par exemple, le 2 est bien meilleur que le 1 et peut être lu indépendamment.

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  4. Merci pour ta participation.
    Je ne me sens pas très tentée, du moins pour cette année. J'ai beaucoup de livres en attente pour mon mois, et je ne trouve pas la motivation pour les lire. Un comble, non ?

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    1. C'est le trop plein. Et puis cela fait un an que nos activités sont réduites et que la seule chose que l'on peut faire, c'est lire, donc normal d'en avoir marre.

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    2. Oui, c'est exactement cela !

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