La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 23 septembre 2021

Désolé, mais je dois y aller, y a l’ange qui m’appelle.

 Petru Cimpoeṣu, Siméon l’Ascenseurite, parution originale 2001, traduit du roumain par Dominique Ilea, édité en France par Ginkgo.

 

Dans les années 90, dans HLM d’une petite ville de Roumanie, les habitants vaquent à leurs occupations, tandis que l’ascenseur est (encore) bloqué. L’un rêve de gagner à la loterie, l’une donne des rendez-vous à un monsieur dont nous tairons le nom, l’un donne des cours de yoga orgasmiques, l’autre répare sa moto, etc. Finalement, il faut bien se rendre compte que si cet ascenseur est bloqué, c’est parce que le cordonnier Siméon s’y est installé pour méditer. Et le lecteur doit bien se rendre compte aussi que les noms de tous les personnages fleurent bon l’Antiquité tardive aussi.


Cette méthode à validité universelle, unanimement connue sous le nom de « pipeau », prouve en toute circonstance son efficacité.


C’est un joli portrait plein d’humour de la Roumanie des petites gens. Ceux qui affrontent les coupures d’eau chaude, le boucan de leur voisin et leurs désirs d’ascension sociale qui retombent comme un soufflé. Des gens qui se posent volontiers des problèmes existentiels (et Dieu dans tout ça ? Et Ceauşescu ?). On a la sensation d’une grande farce où chacun cherche à se fabriquer ses propres repères et à se raccrocher à quelque chose qui aurait du sens. Le communisme s’est effondré et le capitalisme… n’est guère concluant, la religion est insatisfaisante, bien qu’il doive bien y avoir un sens à tout cela. Peut-être que les paraboles du cordonnier les aideront ?


Mme Alice avait découvert, à son propre compte, et quelque peu par hasard, que les règles de la vie chrétienne sont comme les règles grammaticales. Quoique très rigoureuses, et on ne peut plus détaillées, on ne risque pratiquement rien en les enfreignant. Cependant, il vaut mieux les observer, puisque c’est la tradition.


Il y a un appel téléphonique à l’horloge parlante, une inauguration de statue complètement ratée, un séisme créé par une moto et une histoire : comment Dieu a partagé les dons entre les différentes nations à la création du Monde et comment la Roumanie s’est retrouvée avec un fil de fer.

Le roman cite un grand nombre d’intellectuels, d’hommes politiques et d’écrivains roumains (dont Mircea Cărtărescu !), ce qui souligne l’aspect parodique du texte, même si le lecteur français n’y comprend pas grand-chose.

L’auteur fait preuve d’une grande ironie, tendresse et compréhension pour des personnages qui, après tout, n’y peuvent pas grand-chose si tout va à vau l’eau.


Jusqu’en 1989, les Roumains ignoraient ce qu’une campagne électorale signifiait au juste ; en revanche, ils savaient que, chaque fois que les magasins d’alimentation proposaient du salami et de la feta, il fallait voter Ceauşescu. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Dès qu’il s’agit d’élections, tout peut arriver, même l’imprévisible.

Panneau avec Saint Siméon le stylite (Syrie V-VIe siècle) Bode museum

 Un extrait de mon précédent billet :

"La plupart des personnages ont des noms appartenant aux premiers siècles du christianisme : Siméon, Pélagie, Hélène, Alice, Basile, Thémistocle… Je suppose que saisir ces allusions apporte quelque chose mais on peut aussi simplement sourire du contraste entre ces noms ronflants et les personnages associés. M. Nicostrate est ainsi un professeur de yoga, option éveil sexuel, dont Melle Zénobie est une fervente disciple. Quant aux pèlerins de Siméon, il s’agit ici des locataires venant boire des bières dans la cage d’escalier."

Notez que si vous avez séché les cours sur le début de l’érémitisme et sur la Syrie des premiers temps du christianisme, ce n’est pas grave.

 

Un extrait du billet de Keisha :

"Tous discutent, se disputent, sous l'oeil omniscient de l'auteur qui profite de cette fable fantaisiste pour évoquer les problèmes certains de la Roumanie d'après Ceaucescu (et d'avant, un peu)."

 

Apparemment c’est le seul roman traduit en français de l'auteur, mais un autre a été traduit en espagnol.


6 commentaires:

  1. Ah mais oui! Un bouquin toujours sur mes étagères (il a échappé à TOUS les désherbages, c'est un signe!) tu vas me pousser à le relire?

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    1. Je ne pousse à rien, moi. Je sais bien que quand on met le doigt dans l'engrenage des relectures on ne s'en sort pas !

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  2. j'aime vraiment ton éclectisme en matière de lecture c'est un grand plaisir pour tes lecteurs

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    1. Je n'aime pas m'ennuyer, j'aime varier les plaisirs, donc oui, ça donne ce genre de chose.

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  3. Ta citation sur les élections avec salami et feta me fait penser qu'on aura des élections en Hongrie au printemps prochain. La dernière fois, il y avait des distributions de patates et de pommes, je me demande bien à quoi on aura droit l'année prochaine.
    Sinon, je vois (je crois) que tu n'as pas lu Gabriela Adamesteanu, que je te recommande aussi!

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    1. Bon je note le nom de cette dame.
      Tu sais, un candidat à la présidentielle qui distribuerait des bons d’achat chez le fromager ou le chocolatier montrerait une réelle connaissance des préoccupations des citoyens ! Les patates, je suis plus sceptique.

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