Série impressionniste, aujourd'hui Edgar Degas.
J’avoue, Degas, pour moi, c’est un des plus forts du groupe (avec Manet).
Edgar Degas (1834-1917) est issu d’une famille d’aristocrate. Il est né riche et mort ruiné. Et c’est un des fondateurs de l’impressionnisme, même si son œuvre se distingue nettement de celle de ses collègues. Il étudie les grands maîtres de la peinture occidentale avant de se lier avec les jeunes fous de la nouvelle peinture. Degas, c’est à la fois des répliques cinglantes, le misanthrope, l’élégance noble, les expositions impressionnistes, l’antisémitisme et les problèmes de vue. Il collectionne et achète les œuvres de ses amis et celles des maîtres du XIXe. Tout cela en fait une personnalité assez complexe.
À partir de 1880 il privilégie le pastel et les monotypes, mais en en révolutionnant totalement la technique.
C’est le peintre de la ville par excellence. Les modistes, le cirque, les prostituées, les cafés… pas de canotage sur la Seine pour lui !
Du coup, Degas, c'est aussi l'occasion de s'interroger sur la définition de la peinture impressionniste. Qu'ont tous ces gens en commun ? Pas les sujets. Encore que... les paysages des impressionnistes sont marqués par la vie moderne. Un pont de chemin de fer, une usine, un bateau à vapeur... Certains d'entre eux représentent franchement les loisirs contemporains (le canotage, les bals populaires, les courses, le café théâtre...). Les portraits sont assez nombreux, mais les représentations mythologiques, historiques, religieuses, sont très rares. Le vrai point est leur participation aux expositions impressionnistes, ce qui signifie qu'ils ont été refusés par et/ou ont refusé la voie officielle (les peintres de l'école de Barbizon, dont la touche est assez proche des impressionnistes, ne sont pas dans ce cas). Ce sont des révolutionnaires (en art, car pour le reste, certains pouvaient être très rétrogrades). C'est l'avant-garde ! C'est au XIXe siècle que nait cette notion. Ensuite, il y a la manière de peindre. Évidemment, elle n'est pas plus réaliste ou fidèle à la nature que celle d'Ingres. Les impressionnistes se sont opposés à la façon dont la peinture était enseignée, à l'école des beaux-arts, où l'on copie d'abord d'après l'antique et d'après les maîtres, et où la nature est laissée de côté. Plusieurs d'entre eux connaissent très très bien les maîtres anciens du Louvre, mais ils estiment que dessiner et observer la nature vont de pair. On dessine d'après le motif, on peint en plein air (et on reprend la toile dans l'atelier ensuite), on croque le mouvement. Ce qui explique l'accent mis sur le mouvement, sur le mouvement de la lumière et des ombres, sur les effets de l'atmosphère, sur la poussière, sur un miroitement d'eau, sur la lumière électrique. Tout cela forme un groupe plutôt disparate et un peu malaisé à circonscrire. En marketing du XXIe siècle, on dirait que l'impressionnisme, c'est une attitude, mais ce serait un peu trop court.
Bref, Degas.
Le Défilé dit aussi Chevaux de courses devant les tribunes (1866, huile sur papier, Orsay). Il y a quand même un art particulier de la couleur dans ces silhouettes fantomatiques et flottantes. Quelques taches de couleurs pour les casaques et les spectateurs et c'est tout. Le tableau est vide, tout le monde nous tourne le dos.
À gauche : Miss Lala au cirque Fernando (1879 Londres NG). La femme acrobate s'envole, tenue seulement par la bouche. La composition, avec la figure décalée tout en haut de la toile, traduit ce mouvement, son élan. Elle va bientôt sortir du cadre. Elle est un peu mystérieuse, dans cette atmosphère rouge saturée de couleur.
À droite : Miss Lala au cirque Fernando (1879, pastel, Tate). Est-ce une étude préalable ? Comment placer les bras, les mains, les jambes et la position de la tête ? Degas a finalement resserré les jambes. Mais les traits rapides du pastel rendent bien la vitesse du mouvement de la femme qui vole.
La Répétition (1874, Burrell collection Glasgow). Degas est le peintre des danseuses, mais plutôt du côté de la souffrance que de la joliesse. Ici... un énorme escalier bouche la vue et au centre il n'y a rien. À l'arrière-plan, les petits rats s'exercent dans des positions instables. Au premier plan une danseuse fatiguée se repose. Un homme tout au fond à droite (qui est-il ?). La lumière est à la fois délicate, passant au travers de ces grandes vitres, dans des tons gris-bruns, et les couleurs sont en même temps criardes, celles du cirque. Et puis il rend les reflets brillants sur les tissus.
La classe de ballet (1880 Philadelaphie). Il y a quelques années un roman a fait connaître l'existence de ces petites danseuses de la IIIe République, au corps meurtri par les exercices, pratiquement vendues aux riches messieurs par leurs mères. Ici, on peut s'interroger sur le sujet du tableau. Bien sûr, techniquement c'est virtuose. On retrouve la vérité des attitudes et la science du coloris, entre une lumière unie un peu brune et des taches de couleurs vives, et cette grande diagonale du vide, qui est celle du regard. Les petits rats s'exercent ou se montrent. Le bonhomme regarde ou choisit. La bonne femme attend et surveille du coin de l'oeil.
Ballerine (1877, pastel et gouache sur papier, Thyssen Bornemisza). Nous sommes sous la lumière artificielle de la scène et tout est différent. Le tulle grisâtre est devenu bleu, il y a des paillettes qui brillent. Les bras et les jambes se lèvent dans tous les sens, on sourit. L'angle de vue est quand même très audacieux ! Elles ne sont pas vues en train de prendre la pose, mais en plein effort, en position intenable. Personne ne regarde le spectateur, on ne voit que des morceaux de personnages et il y a ce vide au premier plan (l'impressionnisme, ce sont aussi des compositions déséquilibrées et très virtuoses, sur le fil dirait-on).
Danseuses sur la scène (1889 Lyon). Sur la scène, mais vues des coulisses. On est à la fois en pleine lumière et en train de se reposer et de masser des jambes fatiguées. Les couleurs sont incroyables, non ?
Femme sortant du bain (fusain, 1900, Arts décoratifs Paris). Je n'ai pas de photographies des modistes, des repasseuses, des femmes au tub, des femmes à leur toilette. Seulement cette silhouette. On n'est pas du tout dans la toilette de Vénus où l'on se met délicatement une mouche ou l'on se prépare sous l'oeil de l'amant. Ici, il faut faire l'effort de sortir de la baignoire, dans une position pas gracieuse du tout, mais qui n'est pas destinée à être vue. La silhouette est rapidement esquissée et c'est virtuose. Comment représenter l'instabilité et le déséquilibre ?
Chevaux de course dans un paysage (1894, pastel, Thyssen Bornemisza). Parce qu'ils sont beaux.
Je vous ai parlé ici il y a longtemps de Degas, danse, dessin où Paul Valéry dresse le portrait magnifique du vieux maître (vous trouverez dans ce livre une parodie de Proust). Je reprends cette citation : "Il y a une immense différence entre voir une chose sans le crayon dans la main et la voir en la dessinant. Ou plutôt, ce sont deux choses bien différentes que l’on voit. Même l’objet le plus familier à nos yeux devient tout autre si l’on s’applique à le dessiner : on s’aperçoit qu’on l’ignorait, qu’on ne l’avait jamais véritablement vu."
Observer avec un crayon en main, observer la lumière avec un pinceau en main, c'est peut-être ça aussi l'impressionnisme.
La semaine prochaine, un autre peintre (la fin de la série approche).
Mais oui, Degas!
RépondreSupprimerEt j'aime toujours autant tes présentations!
Merci merci c'est gentil !
Supprimerpour Degas ce sont des coups de coeur, sa petite danseuse, sa ballerine en bleue, ses jeunes filles à leur toilette
RépondreSupprimerj'aime au musée que pas mal de ses tableaux soient dans une pièce sombre protégés de la lumière cela donne à chaque fois l'impression de découvrir un trésor
Les pastels sont peu exposés ou alors pas photographiantes, très protégés de la lumière en effet. C'est un de mes préférés.
SupprimerBonjour Nathalie !
RépondreSupprimerOui, Degas fait rêver...
Syl.
Totalement !
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