Gouzel Iakhina, Les Enfants de la Volga, parution originale 2018, traduit du russe par Maud Mabillard, édité en France par Noir sur blanc (pour la rentrée littéraire 2021).
Au milieu d’une communauté allemande russe, vivant au bord de la Volga, nous suivons Bach, l’instituteur tranquille et pas plus brillant qu’un autre. Les circonstances l’amènent à rencontrer Klara, si belle et romantique. Après… ne pas vous raconter, mais Bach devra quelques années plus tard élever une petite fille, Anntche, et même un garçon kirghize. Le lecteur comprend que l’on est dans les années 20, que la Révolution est arrivée, que Staline a pris le pouvoir, que le pays se transforme, la famine est déjà là, les camps se rapprochent. Mais Bach et ses enfants vivent tranquillement dans une ferme dans la forêt.
- Et quel âge a donc mademoiselle votre fille ?
Bach remarqua plusieurs sortes de saucissons sur la table – du saucisson de foie, froid, dans des teintes violacées ; du saucisson frit, brûlant sous ses écailles de couenne dorée ; du saucisson sec – et il sentit soudain un goût de sel dans sa bouche.
- ‘l aura dix-sept ans à la Pentecôte.
En ayant fini avec les cochonnailles, Grimm passa à une soupe sucrée au miel de pastèque, dans laquelle flottaient des îlots de poires, pommes, griottes séchées et raisins secs.
C’est un grand roman mélancolique, beau et rêveur comme un conte, cruel comme la réalité.
Il y a tout le récit de la vie à la ferme, au milieu du verger, dans une maison ancienne en rondins, avec les travaux de la campagne et de la cuisine. L’existence se mène au gré du fleuve, de la glace et de la pluie, du soleil et des oiseaux.
Il y a un univers matériel très concret et plaisant à découvrir. J’ai particulièrement apprécié le récit des soins apportés au bébé, puis à la petite fille. Les bouillies de lait, les petits jouets, les couvertures, la patience et l’adoration pour une enfant. C’est une petite fille qui crie pour obtenir tout ce qu’elle veut.
Plus elle grandissait, plus Anntche voulait de choses. Bientôt, elle refusa de se contenter de ses jouets (un peigne de Klara, un petit pilon pour écraser les herbes et la cuillère en étain), elle voulait jouer avec les mains de Bach, vivantes, remuantes : elle touchait ses doigts rêches, les tripotait, tirait dessus, puis en choisissait un, le mettait dans sa bouche et le mâchonnait longuement entre ses gencives glissantes.
Il y a tout le rapport au langage. Bach est instituteur allemand. Un jour il découvre l’étrange langage soviétique et bolchévique. Il écrit aussi des contes, des contes traditionnels qu’il réécrit selon ses pensées. Un jour, la petite Anntche découvrira elle aussi le langage, le russe.
Il y a toutes les insultes connues par le petit Kirghize, qui manie un langage très imagé et coloré, c’est un plaisir de lecture !
Il y a de longues scènes oniriques. Et d’autres à la limite de la réalité. Il y a une course sur la Volga au moment terrible de la débâcle.
Il y a l’évocation saisissante de Lénine mourant et de Staline arpentant le pays.Zorn, Notre pain quotidien, 1886 aquarelle Nationalmuseum Stockholm
Le lecteur, qui connaît l’histoire, voit la catastrophe se rapprocher inexorablement de ces personnages innocents et se doute que le petit père des peuples les broiera sans même s’en rendre compte. Jusqu’à quand Bach et ses enfants parviendront-ils à fuir, tout en restant au cœur du pays, en échappant à l’œil du pouvoir ? Cela fend le cœur.
Le nouveau pouvoir installé à Pétersbourg avait supprimé le ciel, déclaré que le soleil n’existait pas, et remplacé la terre ferme par de l’air. Les gens se débattaient dans cet air, ouvrant leur bouche effarée, n’osant pas protester, ne pouvant pas approuver.
Cette maison était un navire, qui voguait dans la clairière, dans la forêt et le jardin, sur la Volga, dans le monde, et Bach n’avait plus l’intention de descendre de ce navire. Il n’avait plus besoin des rives. Et il allait voguer dans ce navire tant qu’il en aurait la force, emportant Anntche avec lui – la protégeant de tous les brigands, qui oseraient monter à bord.
Je ne sais pas si c’est l’époque, ou mon âge, ou l’expérience, mais cette vision du domicile comme un refuge, que l’on tente d’isoler de l’instabilité et de l’inquiétude du monde extérieur, me parle extrêmement.
Une romancière. À présent, j'ai hâte de lire Souleikha ouvre les yeux de la même autrice.
Cela pourrait m'intéresser (en sautant les passages oniriques, comme bien souvent ^_^)
RépondreSupprimerCertains sont un peu perturbants, mais ils ne sont pas trop longs. Et puis cet univers du stalinisme frôle si souvent le fantastique qu'il est difficile de savoir.
SupprimerCa fait très envie, mais je vais commencer par "Zouleikha ouvre les yeux" qui a rejoint mes étagères suite à sa sortie poche.
RépondreSupprimerEt moi il faut que je le trouve, pour le lire à mon tour !
SupprimerCe devrait être facile, il est paru récemment, je suis tombée dessus en consultant les nouveautés présentés en librairie.
SupprimerJe n'ai pas lu le premier, tu me fais franchir le pas pour le second, j'attendais un avis ( et j'espère que tu nous parleras aussi du roman de Guelassimov, j'ai aimé ce que j'ai lu de lui, celui-ci le thème me fait hésiter ).
RépondreSupprimerC'est un roman que j'ai demandé à la masse critique de Babelio, j'aurais hésité à l'acheter. Pour l'instant, 60 pages et c'est bien ! Il en reste 340 ceci dit.
SupprimerJe suis comme Ingannmic, dans la team "Zouleikha version poche" (mais sans être encore allée jusqu'à acquérir un exemplaire!), mais Gouzel Iakhina participe à un festival littéraire à Budapest demain, justement autour de ce livre. Je m'en frotte les mains d'avance.
RépondreSupprimerAh mais oui tu vas pouvoir l’écouter ! Profite.
SupprimerTu me donnes vraiment envie de le lire (passages oniriques aussi pour répondre à Keisha).
RépondreSupprimerIl en faut pour tous les goûts !
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