La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 7 octobre 2021

Mais vaste est la terre de Russie.

 Vassili Peskov, Ermites dans la taïga, parution originale peut-être en 1983, traduit du russe par Yves Gauthier, édité en France par Actes Sud.

 

Un étonnant récit.

Au bout du bout de la Sibérie (toutes proportions gardées, pas très loin de la Chine et de la Mongolie), des géologues découvrent en 1982 une famille retirée du monde depuis plusieurs décennies, coupée de l’extérieur et vivant en autarcie. Ce sont des vieux croyants, des gens dont la religion s’est séparée de l’orthodoxie dominante et qui se sont réfugiés de plus en plus loin du siècle, loin de l’argent, de la police, de la conscription, du commerce. Cachés depuis 1945 et découverts dans les années 80. Jusqu’à demeurer oubliés au fond d’une forêt engloutie par la neige plusieurs mois par an.


Le tsar Alexeï Mikhaïlovitch (Alexis), son fils Pierre, le patriarche Nikon avec « sa manière diabolique de se signer des trois doigts », ces personnages étaient pour Karp Ossipovitch des ennemis intimes et organiques irréversibles. Le vieillard parlait d’eux comme si quelque cinquante ans seulement, et non trois siècles, le séparaient de leur règne.


Peskov nous raconte le mode de vie de cette famille, ses stratégies pour vivre et survivre durant des années dans un environnement hostile. Il raconte aussi ce qui se passe à partir de la rencontre avec le monde extérieur, les voyages, les allers et retours, les découvertes. Il dresse les beaux portraits du père Karp et de la fille Agafia. Leurs figures sont émouvantes, dans leur altérité et leur proximité. Ils se sont créé un monde qui n’appartient qu’à eux.


Quand j’ai demandé à Karp Ossipovitch quelle avait été la plus grande des difficultés de son existence dans la taïga, il m’a dit : « Vivre sans sel. Une souffrance en vérité ! » Lors de la première rencontre avec les géologues, les Lykov ont refusé tous les cadeaux alimentaires. Sauf le sel.


Foppens, Le Déjeuner de hareng (HB 17e Rouen BA)
Ils savent se nourrir de patates et de cônes de cèdre, d’eau fraîche et de baies en été. Ils ont fabriqué une vaisselle en écorce de bouleau. Ils tissent leurs vêtements à partir du chanvre qu'ils cultivent. Leurs voisins sont des ours et des loups. Il y a aussi ces belles personnes qui entourent les Lykov, transportant la chèvre en hélicoptère, amenant le médecin en cas de maladie, mais respectant la solitude, les valeurs et le mode de vie de la famille. C’est une solidarité collective touchante.

Le livre constitue le prolongement d’une série d’articles que Peskov a consacrés à l’étrange famille.

C’est très dépaysant et tout à fait troublant.


Ce que le sort a réservé à Agafia, fille de la taïga née en 1944, ici, sur l’Erinat, c’est une solitude qu’elle ne cherche pas à fuir. Elle ne le peut ni ne le veut.

 

D’après Wikipedia, Agafia était encore en vie en novembre 2020. Depuis le livre de Peskov, elle semble avoir accepté davantage de proximité avec le siècle, notamment les photographies, tout en ayant décidé de rester « là-bas ».

 

L’avis de Keisha.



8 commentaires:

Passage à l'Est! a dit…

Hmm. C'est tellement difficile de s'imaginer qu'on pouvait s'infliger ça (entre autres) "simplement" à cause du nombre de doigts pour se signer ou parce qu'on nous demande de commencer à gauche plutôt qu'à droite. Mais ça les a peut-être préservé de pire?
As-tu lu Dersou Ouzala (ou vu le film)? Ca rentrerait droit dans la ligne de tes billets récents.

Dominique a dit…

un livre splendide avec sa suite "des nouvelles d'Agafia", ce livre est dans ma bibliothèque depuis sa parution ce qui remonte à loin très loin
je l'ai lu et relu avec chaque fois un pincement pour ces gens simples certes un rien fanatiques dans leur genre mais un fanatisme sans danger à part pour eux même
ce livre est juste à coté d'un livre que je te recommande si tu ne l'as pas lu Dersou Ouzala de vladimir Arseniev

nathalie a dit…

Je me demande si je n'ai pas vu le film, ça me parle.
L'intérêt du livre est de s'intéresser d'abord à leur mode de vie. Ils ont essayé d'améliorer leur ordinaire tout en respectant leurs convictions.

nathalie a dit…

Ah ah... comme un écho dans ces recommandations ! Décidément.

keisha a dit…

Ah un livre qui m'a tellement plus, grosse surprise ce coup de coeur.
Je n'ai pas lu Dersou Ouzala, mais un jour peut-être...

nathalie a dit…

Tu as bien noté qu'il existait une force active de recommandation de ce livre pourtant !

Lilly a dit…

J'ai beaucoup apprécié ce livre moi aussi. Je note Dersou Ouzala qui semble tant plaire.

nathalie a dit…

Oui je crois que nous n'avons pas le choix !