La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 22 mars 2022

Ce qui était plus dur que la faim, pour moi, c’était le mal du pays.

 Josef Winkler, L’Ukrainienne, traduit de l’allemand par Bernard Banoun, parution originale 1983, édité en France par Verdier.

 

Dans une première partie, l’auteur raconte sa rencontre avec Nietotchka Vassilievna Iliachenko, dans une ferme de Carinthie (région montagneuse de l’Autriche). Elle lui raconte sa vie : née en Ukraine, elle a été déportée avec sa soeur à 15 ans par l’armée allemande et placée dans une ferme pour y travailler. Cette première partie entrelace des anecdotes de vie à la ferme de l’écrivain, ses réflexions sur la vie et les passages consacrées à Nietotchka.

La deuxième partie est constituée par la transcription du long récit que fait Nietotchka. Elle y raconte l’enfance de sa mère et sa propre enfance, dans le sud de l’Ukraine, sous le communisme, la grande famine organisée par le pouvoir soviétique, la guerre et l’arrivée des soldats allemands, son arrestation et son arrivée après des semaines de train, à 15 ans, pour travailler dans une ferme, où elle a finalement fait sa vie. Elle n’a jamais revu sa mère.


Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi j’avais dû quitter ma mère, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi je ne pouvais pas m’enfuir. Lidia avait si souvent réussi à s’échapper, et donc moi aussi j’avais l’espoir de m’enfuir, de réussir à décamper.


Un livre qui me laisse une impression mitigée, notamment à cause de sa première partie. La postface de Banoun permet de comprendre que le personnage de l’Ukrainienne occupe une place importante dans l’œuvre de Winkler et que ce livre s’insère dans l’ensemble de sa production. Pour moi qui n’avais jamais rien lu de lui, j’avoue que cette partie m’a semblé assez stérile.

Frederic, Les marchands de craie, Le midi, 1882 Musées royaux Bruxelles

Donc le cœur est constitué par le récit de l’Ukrainienne. Un récit qui n’est pas linéaire, avec des répétitions, des annonces, des retours en arrière, un récit très factuel et assez simple. Elle parle de son pays d’origine tantôt comme l’Ukraine tantôt comme la Russie. Mais il y a aussi les représentants des autorités communistes qui volent les terres, les maisons, le bétail, les récoltes. À son arrivée en Autriche, elle devient à son tour la Russe. Il y a aussi tout le récit de la faim, de la recherche des herbes dans la forêt pour survivre et les suspicions de cannibalisme. L’Holodomor, c’est-à-dire la grande famine de 1932-33, a fait entre 2,5 et 5 millions de morts. Les détails donnés ici sont accablants. Ensuite, il y a la déportation et l’arrivée en Autriche avec les fermiers qui choisissent la fille ou le garçon qui travaillera dans leur ferme comme du bétail. Toutes ces existences brisées, ces garçons qui s’enrôlent dans l’armée à 16 ans, les filles déportées de tous les territoires conquis par l’armée allemande et qui se retrouvent en Allemagne ou en Autriche.

La troisième partie est propre à l’édition française et contient plusieurs lettres de la mère à ses filles. Ses cris en sont déchirants. Je crois que c’est la partie la plus émouvante du livre.

 

En janvier 1931, la famine a commencé. À l’automne précédent, il y avait suffisamment de blé, ce n’était pas une mauvaise année. Les chefs de kolkhoze qui expropriaient les paysans leur prenaient aussi les céréales qu’ils jetaient par tonnes dans le Dniepr. Ils ont causé artificiellement cette famine pour que les gens aillent travailler au kolkhoze s’ils ne voulaient pas mourir de faim, parce que la cantine leur donnait du pain et de la soupe pour les journées de travail, rien de plus.

 

J’ai acheté ce livre par hasard en janvier. Je l’ai rangé et oublié, naturellement. Un article du Monde des livres, dans le cadre d’un numéro sur l’Ukraine, me l’a remis en mémoire et hop, je l’ai lu. Cette lecture ne fait pas directement partie du mois des blogs en Europe de l’Est, mais entretient un certain lien avec.

 



 

6 commentaires:

Ingannmic, a dit…

Tiens, je vois que tu lis "La vie secrète des arbres".. il est sur mes piles depuis un moment, sans que j'ose me lancer. J'espère avoir droit à un billet du coup !

nathalie a dit…

Je l'ai emprunté à ma maman. Je note que le "je vous en parlerai peut-être" reçoit une demande officielle !

claudialucia a dit…

Beaucoup de bémols pour ce livre, si je comprends bien. Intéressant, bien sûr, pour le point de vue historique.

J'ai vu ce tableau au musée de Bruxelles, en fait c'est une série de trois tableaux qui racontent une journée de travail des ouvriers, le départ au matin du couple avec leurs enfants, la pause de midi et le retour le soir. Un réalisme saisissant pour évoquer la vie des humbles et en même temps intéressant par son humanité

nathalie a dit…

Tout à fait, j'ai photographié les 3 tableaux.
Pour le livre, je pense qu'il est plus facile à lire si l'on connaît l'auteur et d'autres titres de lui, mais ce n'est pas mon cas.

Marilyne a dit…

J'ai hésité pour cette lecture, je crains un peu le style de l'auteur. Le propos est intéressant, mais je ne suis pas certaine d'accrocher à la narration.

nathalie a dit…

Dominique l'a acheté je crois, je ne sais pas si elle fera un billet. Cela te donnerait un autre point de vue.
La seconde partie est beaucoup plus intéressante que la première, à mon avis.