La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 24 mars 2022

Je le répète, je n’écris rien d’autre que les faits en leur pleine et entière vérité.

 Joël Baqué, L’Arbre d’obéissance, 2019, P.O.L.

 

Le narrateur raconte depuis le moment où il a entendu l’appel de Dieu jusqu’au moment où il a pris la décision d’écrire la vie de Syméon, Syméon le stylite, l’homme qui, au Ve siècle, passa sa vie sur une colonne à prier Dieu.


Après avoir ôté une épine du pied de la chèvre boiteuse, je m’apprêtai à confier le troupeau au repos lorsque l’univers sombra dans le silence avec la même soudaineté qu’un enfant tombe dans un puits ou un vieillard dans la mort, sans terminer sa phrase.


C’est un beau et court roman qui tente de faire partager quelque chose de la foi de ces hommes, leur appétit pour la souffrance et la privation, leur soif de supprimer le maximum de leur vie pour être nu face à Dieu et éloigner d’eux tout, tout c’est-à-dire tout ce qui pourrait être l’instrument des démons. Ils nous apparaissent à nous un peu fous, vaguement malsains, arrogants, loin de toute humanité, mais il faut bien accepter un peu de leur étrangeté pour se représenter leur combat quotidien. Le roman y parvient, dans une langue volontiers poétique.


À peine arrivés nous devons nous préparer à rendre des comptes, et notre faiblesse s’avère sans limite, elle est le seul infini que nous pouvons connaître ici-bas, sidérant comme une étoile noire plus noire que la nuit la plus noire.


Au fil du texte on comprend que le narrateur est ce Théodoret, contemporain de Syméon, celui qui a écrit une vie du saint homme. Il ne l’idéalise pas, rapportant sans ciller les plaies qui couvrent son corps, les asticots qui le dévorent vivant, le possible orgueil. Il doute et s’incline, rend hommage et admire, jalouse peut-être, incapable des mêmes exploits. Ce sont ces hésitations et ambiguïtés qui donnent au roman son ton particulier.

J’ai aussi apprécié la belle vision du désert qui est donnée là, brûlant et mortel, plein de visions, hostile, avec la lumière brûlante qui aveugle et obscurcit les yeux.

Il s’agit plus d’une évocation que d’un roman historique. Il y a quelques libertés avec la réalité, mais ce qui importe c’est l’atmosphère générale.

 

Ce silence n’était pas de ceux qui fluidifient le sang, détendent les muscles et conduisent l’esprit hors des vicissitudes du quotidien. Il était la voix du désert, une voix minérale, dure, indifférente comme la mort qui plonge sa main dans les gorges et arrache les cœurs, les souvenirs, les espérances de même qu’on ouvre le ventre d’une carpe pour tirer à pleines mais ses entrailles.

 

Si vous ne connaissez pas l’extraordinaire Syméon le Stylite, je vous conseille la lecture de sa page Wikipedia. Si vous connaissez, je vous suggère cette variation roumaine.

 

Vincent, Saint Jérome écoutant la trompette du Jugement dernier, 1777 Musée Fabre, détail


2 commentaires:

claudialucia a dit…

Le point de vue du contemporain est intéressant parce que cela doit apporter une autre vision et surtout une interrogation sur ce Symeon. Le comble pour moi, enfin à priori, du fanatisme et de l'orgueil.

nathalie a dit…

Je pense que le livre te plairait en effet. La position du narrateur introduit cette légère distance, c'est très réussi.