La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 26 avril 2022

Si on le cherche, il se cache ; si on ne le cherche pas, il commet mille insolences.

 L’Enfer de la flibuste. Pirates français dans la mer du Sud, textes rassemblés par Frantz Olivié et Raynald Laprise, 2021, aux éditions Anacharsis.

 

L’histoire vraie des pirates français à la fin du XVIIe siècle.

C’est un drôle de livre composé de plusieurs parties.

D’abord présentation d’un groupe de pirates qui erre dans les années 1684 aux alentours de Saint-Domingue (île française). Pirates qui essaient de se faire passer pour des corsaires, mais le roi ne veut plus autoriser la course, et les autorités aimeraient bien transformer ces gens ingérables en habitants des colonies, tout en les gardant sous la main histoire de pouvoir faire le coup de main contre les marines espagnoles ou anglaises.

Finalement une partie des pirates passe côté Pacifique en traversant à pied l’isthme de Panama et une autre part en bateau. C’est en 1688.

Ici s’insère le récit de voyage rédigé par l’un des pirates qui raconte cette errance dans la mer du Sud – le Pacifique : prendre des navires, les piller ou en demander rançon, descendre à terre, piller les villages, s’emparer d’otages et exiger de la rançon, mais aussi de la nourriture, car on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une partie de la troupe veut traverser le Pacifique (et y parviendra jusqu’à atteindre la Thaïlande !), une autre veut rentrer, une autre veut continuer à piller avant de rentrer, etc.


Le gouverneur nous manda que, pour des vivres, il lui était défendu par ordre du vice-roi du Mexique, sous peine de la vie, de nous donner ni vivres ni autre choses de la terre, ce qui nous mit dans un grand transport, nous voyant dans une côte si écartée, sans aucune vivre.


Ici les historiens reprennent la main et nous racontent tout ce que ne dit pas le pirate, notamment en s’appuyant sur les archives de la Nouvelle Espagne et sur les témoignages qu’ont donné les prisonniers après leur libération.

La bande revient finalement en France en deux temps. Le premier groupe arrive à Cayenne en 1694. Là, loin du roi, il est possible de « blanchir » le butin en en donnant aux autorités royales, locales et religieuses et de s’insérer parmi les colons du coin, comme en font foi les archives paroissiales de Cayenne. Le second groupe, plus réduit, y arrive en 1695, après avoir passé l’hiver en Terre de feu.

S’insère ici un autre récit rédigé par un prêtre qui a recueilli le témoignage d’un pirate.

Enfin, une dernière partie donne un peu de perspective sur la suite de la carrière de ces messieurs : colons, officiers de la marine royale, habiles tentant de se présenter en explorateurs d’une terre presque inconnue ou autre.

Le saviez-vous ? La première édition du livre a paru en 2016. Elle était plus courte et pour cause : le récit rédigé par le prêtre n’était pas encore connu. Son invention et sa lecture permettent d’enrichir considérablement l’analyse.

Mooy, Marine, HB 1691 Caen BA


Que retenir de tout cela ? D’abord que les pirates mystérieux laissent beaucoup de traces dans les archives, notamment dans celles de leurs victimes. Polices, armées, prêtres, gouverneurs de ville, tous envoient des rapports sur la bande française qui écume les côtes (on en sait beaucoup moins sur certaines populations autochtones du continent).

Ensuite, que la vie de pirates est assez différente de ce que l’on peut imaginer. On peut vraiment approcher la réalité de leur existence. Je suis d’abord frappée du fait qu’ils sont très disciplinés. Toutes les expéditions sont préparées (stocks de vivres, de matériel). Quand on décide de laisser un petit groupe dans une île paumée pour construire des canots, ils le font et ils sont récupérés au moment prévu. Les décisions donnent lieu à des concertations et certains peuvent décider de quitter le navire, mais le chef, un certain Rolle (un Hollandais), a l’air sacrément efficace et il n’est jamais contesté. D’ailleurs il sait lire et écrire, bien utile pour négocier les rançons. Ainsi que les auteurs le soulignent, ce sont aussi des marins d’exception qui s’engagent dans une mer inconnue, sans carte, de façon clandestine et sans pouvoir s’appuyer sur l’aide locale, et qui… ne font jamais naufrage.

Notons que le pirate Jouan a laissé un lexique de 200 mots de la langue Kawésqar de Terre de feu, mais qui en 2009 était parlée seulement par 7 personnes.

 

À première vue, la trajectoire des flibustiers pendant les années qui viennent semble erratique, gouvernée par les caprices du hasard. Mais voici : le hasard, c’est leur métier. Et si chaque manœuvre est comme un nouveau lancé de dés, un défi jeté à la face de la fortune, c’est toujours pour prendre la main. Chaque mésaventure, chaque revers sera contrebalancé par le coup suivant.

 

Un livre si vous aimez l’histoire, les archives et les pirates, un peu comme moi !


8 commentaires:

keisha a dit…

On sent les embruns... Le côté histoire vraie/documentaire devrait me plaire; j'ai chez moi (et lu!) un bouquin sur les sources du Nil, écrit par Speke et Burton, du lourd, donc je ne crains plus rien question explorateurs.

nathalie a dit…

Il y a des parties archives du 17e siècle et des parties écrites par les historiens d'aujourd'hui, qui sont plus faciles à lire. C'est très fouillé, bon j'avoue j'aime ça.

Dominique a dit…

Dieu sait qu'il y a de bons livres sur la piraterie et les pirates mais alors que j'adore les livres d'aventure, de voyage, je n'ai jamais accroché à la piraterie à part l'Ile au trésor

nathalie a dit…

Et les romans n'ont rien à voir avec la réalité des pirates, il faut bien le dire. L'île aux trésors, c'est un roman d'apprentissage et d'aventures !

Carmen a dit…

J’aime beaucoup cette maison d’édition et ses collections. Souvent il y des rencontres avec les auteurs.
C’est vrai que ce roman qui me tente semble éliminer les clichés habituels sur la piraterie

miriam a dit…

j'aime bien les histoires de pirates surtout celles qui se déroulent en Méditerranée de Malte à la Tunisie, de Crète en Turquie

nathalie a dit…

Je précise qu'il ne s'agit pas d'un roman, mais d'un livre d'histoire qui cite longuement des archives anciennes (c'est pour ça que les clichés des romans en prennent un coup).
Les commentaires sont modérés, mais ça fonctionne !

nathalie a dit…

Des corsaires et des barbaresques en Méditerrannée, souvent.