La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 10 juin 2022

Tout cela, un simple édifice pouvait l’offrir aux hommes lorsqu’il était beau et puissant.

 Ivo Andrić, Le Pont sur la Drina, traduit du serbo-croate par Pascale Delpech, parution originale 1945.

 

Le livre raconte simplement l’histoire du pont sur la Drina : décidé par un vizir de l’empire ottoman originaire de là, construit, permettant à la ville de Višegrad de naître et de se développer, situé à diverses frontières (empire turc, empire austro-hongrois, serbes, chrétiens, musulmans, etc.), son existence au rythme des turbulences de l’histoire et sa destruction (au moins partielle).


Dans le même temps, la masse informe de planches et de poutres enchevêtrées au-dessus de la rivière commença elle aussi à se réduire et à s’affiner, et l’on apercevait maintenant de mieux en mieux à travers elle le véritable pont, taillé dans la belle pierre de Banja. Des ouvriers, seuls ou en équipe, s’appliquaient encore à des travaux qui, aux yeux des gens, paraissaient insensés et sans rapport avec le reste, mais il était maintenant évident même pour le plus sceptique des habitants de la ville qu’ils travaillaient tous ensemble à édifier un pont, selon un seul et même plan et des calculs infaillibles qui justifiaient chacune de ces actions isolées.


C’est un livre qui ne m’a pas emportée, mais qui m’a vraiment intéressée. Il mêle personnages historiques et fictionnels, les décisionnaires politiques et militaires se mêlent aux petits habitants du lieu, la grande et la petite histoire et la légende. On ne sait pas bien si certaines anecdotes sont transmises par la mémoire populaire ou simplement inventées par l’auteur. L’ensemble forme un tout, l’histoire d’un pont et d’une ville.

J’apprécie aussi le fait qu’il soit difficile de tracer une trajectoire nette. Même si la fin du livre est particulièrement sombre (le récit s’achève en 1915, mais a été écrit pendant la Seconde guerre mondiale) et que l’on a le sentiment que les peuples se divisent de plus en plus entre nationalités et entre religions, il est sans cesse rappelé que les temps anciens n’étaient pas faciles (il y a le récit d’un homme qui meurt empalé) et que la prospérité moderne apporte un confort appréciable, notamment en mettant fin aux crues dévastatrices.

À travers cette histoire mouvementée, violente, voire fracassée, à travers le mouvement d’évolution des mœurs, qui transforment les hommes et les femmes, le pont apparaît comme un don de Dieu (et pourtant sa construction est bien décrite), une arche de pierre blanche au-dessus de la rivière, échappant aux vicissitudes humaines, lumineux et gage de lumière et d’éternité.

 

Image Wikipedia du fameux pont.

Personne n’avait le temps de réfléchir à ce que représentait et signifiait le pont victorieux, mais en vaquant à leurs affaires, dans cette ville infortunée où l’eau avait tout abîmé, ou du moins transformé, tous savaient qu’il y avait dans leur vie quelque chose qui résistait aux éléments et qui, grâce à l’insaisissable harmonie de ses formes et à la force invisible et sage de ses fondations, sortait de chaque épreuve intact et inchangé.

 

Ainsi, sur la kapia, entre le ciel, la rivière et les collines, on apprenait de génération en génération à ne pas regretter outre mesure ce que les eaux troubles emportaient. C’est là que l’on s’imprégnait de la philosophie innée des habitants de Višegrad : que la vie est un prodige incompréhensible, car elle s’use sans cesse et s’effrite, et pourtant dure et subsiste, inébranlable, « comme le pont sur la Drina ».


Le pont a été construit à la fin du XVIe siècle. Le dynamitage de 1915 ne l'a pas détruit totalement  heureusement. Il a été réparé et il est toujours là.

Même si je ne suis d’un enthousiasme mesuré, j’ai assez envie de lire La Chronique de Travnik.

Une lecture initiée par Passage à l'Est.


 

 

13 commentaires:

  1. mmmh peut être pour un mois de l'est, de toute façon j'aurais bien besoin de connaitre un peu mieux le coin

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    1. Oh personne ne sait où c’est, ne t’inquiète pas.

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    2. Hélas j'en suis quasiment restée à l'ex yougoslavie...

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  2. c'est bon de lire ton billet car j'ai ce livre dans ma PAL depuis une éternité, je l'ai commencé puis abandonné faute de m'y accroché vraiment mais je crois qu'il faut que je refasse un essai

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    1. Il n’est ni charmant ni séduisant, je comprends que tu aies lâché,mais il est intéressant.

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  3. Je lis ton billet bientôt, je suis en pleine lecture :)

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    1. J'ai l'impression d'avoir foiré les dates des LC moi... je suis en avance pour tout. Bon, ce n'est pas grave, on va dire que je défriche.

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    2. Non non, tu avais bien noté pour le 10, mais nous nous sommes ensuite mises d'accord pour retarder de quelques jours et j'ai omis de corriger le calendrier et de l'annoncer! C'est vraiment poussif, chez Passage à l'Est!, ces jours-ci.
      J'ai lu Le pont sur la Drina il y a longtemps; dans mon souvenir, j'avais beaucoup aimé le début tout en trouvant que ça finissait par manquer de dynamisme. Il faudrait que je le relise.

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    3. Oui c'est assez répétitif.

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  4. Je te lis, maintenant que j'ai finalement publié mon billet, à regret en fait parce que je ne suis parvenue au bout de cette lecture.

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    1. J'irai voir ton billet ce week-end. Je sens que je suis la seule à être suffisamment motivée pour lire un second titre !

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  5. C'est un titre qui est sur ma PAL depuis quelque temps mais que je réserve pour une future édition du "Mois de l'Europe de l'Est". Je me rappelle que Goran l'avait chroniqué aussi, j'avais été surpris par la tonalité du livre (certains passages sont très durs). Je trouve de bonnes raisons de le lire en lisant ton billet !

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    1. Oui il y a des passages très violents au milieu de ce pont blanc et éternel. J'espère que la lecture t'intéressera !

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