La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 8 septembre 2022

Schultz se sent à son aise à bord du voilier qui le conduit vers les môles du dernier chapitre.

 Alberto Ongaro, La Taverne du doge Loredan, traduit de l’italien par Jacqueline Malherbe-Galy et Jean-Luc Nardone, parution originale 1980, édité en France par Anacharsis.

 

À la fin du XXe siècle, dans un palais vénitien, deux hommes discutent, Schultz et Paso Doble, et commencent la lecture d’un livre tombé de l’armoire, sans titre ni auteur, un livre où Jacob Flint, un jeune anglais du début du XIXe siècle, fuit la justice et tombe amoureux de la belle Nina, la perd et part à sa recherche – jusqu’à Venise, précisément.

Mais la lecture s’interrompt. Une fois parce qu’il est question d’un palais un peu comme celui où nous sommes, une fois parce que Schultz se rappelle une femme passionnément aimée et disparue sans laisser de trace, une autre fois parce qu’il ne peut pas s’empêcher de combler les vides du roman et de créer des personnages supplémentaires, encore une autre, car n’aurait-il pas rencontré cet Anglais il y a plusieurs années ? Pendant ce temps, Jacob raconte sa folle odyssée. Et le double, Paso Doble, commente les pensées de Schultz.


Que de choses peut contenir la page d’un livre pense Schultz : une carriole sur laquelle se trouvent deux hommes tirée par un cheval, une patrouille de dragons, des lanternes, des fanaux, des gens qui cherchent et des gens qui sont recherchés, la campagne anglaise.


Il y a le charme indéniable de l’entrelacement entre le roman et le lecteur, le lecteur qui rêve son roman, l’incorpore à sa vie, lit sa vie à la lumière du roman, et le personnage du roman qui devine autour de lui un être sans visage qui tient les fils du récit et décide des coïncidences.

Il y a aussi un étrange et fascinant personnage, Fielding. Un homme qui ressemble autant à un gentilhomme qu’à un pirate, un homme atteint du malheur de répandre autour de lui une puanteur infecte, un homme dont la face obscure s’incarne dans des créatures terrifiantes, que le narrateur (Jacob) nomme les métaphores. Quelle belle invention !

Il y a des scènes très drôles, comme une avec un concours de pet et une autre avec une étrange boussole. Il y a Dick et Severino, des corbeaux qui parlent. Il y a des détails surréalistes (comme une statue de cire) et des choses qui ne seront pas expliquées au lecteur (nous), à lui de faire marcher son imagination.


C’est ici, dans ce restaurant, que Schultz est en train de manger, à une table d’angle, comme il convient à un client habituel et d’un certain rang. Il y a d’autres personnes dans la salle, mais elles n’ont rien à voir avec cette histoire et donc ne valent pas la peine d’être décrites, pour intéressantes qu’elles soient.


Alejandro Guzzetti, Sans titre, vu au musée Ziem de Martigues

Ongaro joue de tous les mystères de Venise que l’on peut imaginer. Refermé son livre, on a seulement envie de monter pour le premier train pour la lagune (un jour…).

Un roman où il est question du plaisir de lire. On y fait aussi beaucoup l’amour.

C’est un roman picaresque et d’aventure, un roman d’amour, un roman moderne qui ne s’en laisse pas conter par le charme des belles histoires ou qui plonge à pieds joints dans les pièges du roman.

 

Les personnages du siècle passé ne savaient pas qu’ils étaient des personnages tandis que ceux de ce siècle ne le savent que trop bien… Regarde-les, ceux de l’époque de Jacob étaient sûrs d’eux, ils vivaient leurs histoires comme si c’étaient des histoires réelles, souffraient, aimaient, riaient, faisaient l’amour, prenaient tout au sérieux, mouraient même et étaient ensevelis dans de vrais tombes, dans de vrais cimetières. Aujourd’hui, ah ! aujourd’hui tout a changé. Aujourd’hui les personnages savent que rien n’est vrai, ils le savent et comment ! C’est là tout leur malheur.

 

Le billet d'Ingannmic.


Alberto Ongaro sur le blog :
L'Énigme Ségonzac - second billet pour une relecture

Bon pour "sous les pavés, la page", le mois consacré aux villes, organisé par Ingannmic et Athalie.

 

6 commentaires:

Ingannmic, a dit…

Comme tu lui rends bien hommage !, j'espère que cela donnera envie à de nombreux lecteurs de se perdre dans cet extraordinaire roman.. et je n'ai pas pour ma part encore lu Le mystère Segonzac.
Je me demande si ce billet ne rentrerait pas dans l'activité "Sous les pavés, les pages", parce que oui, c'est aussi le roman d'une ville, non ?

nathalie a dit…

J'aime beaucoup Segonzac, il faut dire que c'est le XVIIIe siècle !
Justement, je me disais cette nuit (oui), que c'était un roman très vénitien. Si tu valides, j'ajoute ça.

miriam a dit…

Bien envie de faire un tour à Venise. je note!

nathalie a dit…

Un petit livre qui te plaira certainement.

keisha a dit…

Zut alors j'ai eu ce livred es années sans le lire, j'ai fini par le donner..;

nathalie a dit…

Mais enfin ! Ongaro est un excellent auteur !