La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 28 février 2023

Je meurs de n’avoir pas de tes nouvelles.

 Santiago H. Amigorena, Le Ghetto intérieur, 2019.

 

À Buenos Aires, en 1940, Vicente semble avoir tout réussi. Il est élégant, il travaille, il a une femme qui l’adore et des enfants. Mais Vicente est un juif polonais et s’il vit depuis des années en Argentine, sa mère et son frère sont restés à Varsovie. Et les nouvelles qu’il reçoit sont de plus en plus rares et inquiétantes. Et puis, il n’y a plus aucune nouvelle.


Il aspirait à un silence si fort, si continu, si insistant, si acharné, que tout deviendrait lointain, invisible, inaudible – un silence si tenace que tout se perdrait dans un brouillard de neige.


Alors le livre raconte ses affres de conscience et la façon dont Vicente sombre dans l’angoisse, le remords, la douleur, le silence, le néant. Dans le récit s’intercalent des rappels historiques sur ce qui se passe à Varsovie et à Berlin au fur et à mesure que la guerre avance. Mais Vicente en est réduit à la lecture de la presse, qui dit beaucoup, qui ne dit rien, qui laisse supposer. Les références aux articles sont précises. Vicente est si loin, il est si impuissant.

C’est le récit d’un homme qui sombre parce qu’il se sent coupable de ne pas avoir poussé sa mère à fuir quand il était encore temps, alors même qu’il a tout fait pour s’éloigner de cette mère envahissante, qui imagine et ne veut pas imaginer quelle a pu être sa fin, à Auschwitz. C’est l’histoire du grand-père de l’auteur.

Je retiens notamment la difficulté à nommer l’événement. L’auteur parle de la façon dont certains mots se sont imposés plutôt que d’autres.


Au début, ça ne s’appelait ni shoah ni holocaust. Ni en français ni en anglais, ni avec une minuscule ni avec une majuscule. Au début, ça ne s’appelait pas. On parlait d’« évènement », de « catastrophe », de « cataclysme », de « désastre », puis on a parlé d’« hécatombe », d’« apocalypse ». Mais au tout début, ça n’avait pas vraiment de nom.


Un petit livre très étouffant. Ou alors j’ai eu particulièrement du mal à le lire après la semaine des blogs consacrée à l’Holocauste. Je pense aussi qu’il est facile de s’identifier à Vicente, à ses affres, que l’on partage particulièrement sa volonté de savoir, sa préférence de ne pas savoir, son errance intérieure, son sentiment de culpabilité.

Marseille, place de l'Opéra
 

Mais Vicente, lui, rêvait d’un autre horizon, d’un horizon plus lointain et plus vaste que celui qu’offrait ce vieux continent que menaçait déjà le malheur. Et puis, lui qui aimait tant plaisanter sur les Juifs restés dans les shtetlech, bien que parfois il se sentît lui-même antisémite, supportait mal l’antisémitisme de ses compatriotes polonais.

  

Pendant les années sombres où, à Buenos Aires, accablé de culpabilité, Vicente avait chaque jour espéré et craint à la fois de recevoir des nouvelles de sa mère, ne trouvant aucune réponse aux mille questions qui agitaient son cœur, il s’était dit souvent qu’il y avait bien des choses qui n’avaient pas de pourquoi.

 

L'avis d'Ingannmic.

Auteur né en Argentine, naturalisé français. Le livre me semble très bien pour constituer ma cinquième et dernière participation au mois latino de ladite Ingannmic.






 

6 commentaires:

keisha a dit…

Ha oui, j'avais commencé ce livre... Oui, étouffant, et le narrateur et ses affres, comme tu dis, ça m'a gavée, j'ai arrêté. Dommage, je sais. Je suis le vilain petit canard sur ces livres là que tout le monde aime..

nathalie a dit…

Non j'ai eu du mal à le lire. Très étouffant, le narrateur n'est pas sympathique avec son poker et son incapacité à parler. Et puis l'impuissance est un sentiment terrible que ce soit dans la vraie vie ou dans la littérature. C'est pour moi ce qui fait la réussite du livre, car c'est très bien rendu, mais ce n'est pas facile à lire.

Ingannmic, a dit…

Un texte qui fait un tel effet est un texte fort... j'avais vraiment aimé, cette capacité à nous faire ressentir l'horreur sans jamais la montrer, par le truchement des "affres" du narrateur, comme tu l'écris à juste titre.

nathalie a dit…

Je suppose que l'on hésite à s'identifier aux récits des survivants et des témoins alors que pour un homme impuissant, réduit à lire la presse, il y a moins de distance.

Dominique a dit…

Non Keisha tu n'es pas le vilain petit canard, j'ai commencé et laissé ce livre et malgré tout les billets actuels j'ai toujours du mal

Nathalie a dit…

Je pense que l’écriture n’est pas très fluide et que le lecteur n’a pas très envie de s’enfermer dans le silence avec ce type.