La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 25 février 2023

Jésus parmi les docteurs


Dernier épisode de cette série iconographique sur l’enfance de Jésus. Aujourd’hui, c’est le scandale, aucune des images ne se trouve dans mon ordinateur. Mais il aurait été dommage de se priver.

C’est le seul épisode connu, dira-t-on, de l’enfance de Jésus (du moins d'après les Évangiles officiels, les apocryphes étant nettement plus bavards). Vous l’avez deviné, Jésus parmi les docteurs.

C’est Pâques. La famille est en pèlerinage à Jérusalem. Jésus a 12 ans. Joseph et Marie égarent leur enfant et quand ils le retrouvent... comme le raconte Luc, cité par Wikipedia :

Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse. Il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait.

Il s’agit des docteurs de la foi, des anciens, et l’épisode est souvent représenté comme une classe de philosophie ou de rhétorique.


N’ayant photographié aucune représentation, je vous montre 4 images choisies sur Wikipedia (elle ne s’est pas foulée, direz-vous).

 

Albrecht Dürer, Jésus parmi les docteurs, un des panneaux du Polyptique des Sept Douleurs (1500, Dresde Gemäldegalerie pour ce panneau). Une panneau assez pédagogique. Le petit enfant est assis sur un trône, expliquant les écritures aux savants. J'aime bien la diversité de leurs portraits : ils l'écoutent, l'interrogent, se demandent d'où sort ce petit morveux savant. Il y en a un qui s'ennuie ou qui considère les écritures en se demandant s'il les a jamais comprises réellement. La présence du singe est certes pittoresque, mais elle constitue aussi un portrait critique.  Les savants paraissent un peu miteux à côté d'un Jésus plein d'énergie. À gauche, ouvrant la porte, Joseph et Marie viennent chercher le petit prodige.


Suiveur de José de Ribera (1630, Vienne Kunsthistorisches). Jésus en donneur de leçons ? Éclairé par la seule lumière de la foi, il explique les Écritures, les connaissant sans avoir besoin de les lire ou de les vérifier. Par-dessus son épaule, ce sont bien les visages de ses parents. Comme dans toute l'école de Ribera, les visages des hommes âgés sont très réussis. Ceci dit, pour un gosse de 12 ans, Jésus apparaît comme une figure monumentale, toute de rouge et de lumière, face à ces hommes bruns et indifférenciés.

Note : dans ce tableau, comme dans le suivant, on voit bien qu'il y a des images sur les livres et du coup je me demande quel livre ont bien voulu représenter les peintres. Ce n'est manifestement pas la Torah.


José de Ribera (1613, musée de Langres). Le peintre joue davantage de la petitesse de l'enfant face aux hommes qui sont assez monumentaux. Le tableau constitue un prétexte pour représenter plusieurs figures musclées, noueuses, agitées. Je trouve que Ribera a assez bien réussi à représenter la perturbation que constitue la présence de Jésus. L'un des hommes est profondément abattu, réalisant sans doute qu'il ne sait en réalité par grand-chose et qu'il a été dans l'erreur une grande partie de sa vie. Un autre écoute, tout en lisant le texte hébreu. D'autres discutent entre eux, voire disputent. Certains se contentent d'écouter. Le tout, dans une très belle lumière.


Albrecht Dürer (1506, Madrid Thyssen). Je n'aime pas du tout ce tableau, ce qui explique que je ne l'ai pas photographié. Tout élément de décor ayant été supprimé, le jeune Jésus apparaît cerné de façon menaçante par les docteurs. Celui qui se tient le plus près de lui a une tête caricaturale, en référence évidente à la peinture de Jérôme Bosch ou les grotesques de Léonard de Vinci. Évidemment, le peinture joue sur le contraste des visages. Les autres visages ne semblent pas si horribles, mais leur proximité est inquiétante, même pour ce beau profil du premier plan à gauche, qui, livre fermé, écoute avec une réelle attention la parole divine.

En réalité, dans l'oeil du spectateur, se superposent plusieurs autres peintures, notamment de Jérôme Bosch (car il est le plus connu, mais il y a des tas d'autres peintres). Je pense en particulier au Portement de Croix, mais en réalité il y a une série d'oeuvres (Arrestation, Portement, Christ devant Pilate) qui représentent une foule oppressante et une opposition symbolique entre les visages. Ce Portement de Croix est en réalité plus tardif que la peinture de Dürer, mais d'autres peintures de Bosch lui sont bien antérieures. Il s'agit d'un modèle iconographique connu, qui circule entre les artistes. Dürer, par sa composition et son agencement de figures se confronte avec ce modèle et ces artistes. La peinture de Dürer parle aussi à travers ces autres oeuvres : cet épisode se juxtapose à un autre, ce n'est pas la dernière fois que Jésus se voit ainsi cerné. Nous savons - nous le voyons bien puisque nous connaissons la peinture - que ce Jésus parmi les docteurs est aussi une annonce de la Passion. C'est une préfiguration de ce qui se passera lors d'un autre pélerinage de Pâques, qui sera résumé ainsi par le célèbre "Il le leur livra". C'est ce que dit la peinture. 

Ce que dit Wikipedia, c'est aussi que le papier sur lequel apparaît le célèbre monogramme de Dürer (papier qui sort du livre au premier plan) porte l'inscription suivante : Opus Quinque Dierum. Oeuvre exécutée en cinq jours. Dürer avait conscience de lui.

 

James Tissot, Jésus retrouvé dans le Temple (Brooklyn Museum). Où je découvre à cette occasion que Tissot est auteur d'une très importante oeuvre religieuse (Ancien et Nouveau Testament) quasi intégralement conservée dans les musées des États-Unis. Il a également représenté Jésus parmi les docteurs, mais je choisis ce tableau pour finir le billet. Ça y est, Marie et Joseph ont récupéré leur progéniture. Ils ont l'air un peu dépassés par la situation. Le gamin s'avance... bras en croix, oui, mais annonçant aussi la bonne parole. À l'arrière, chez les docteurs de la foi, tout n'est qu'embarras et scepticisme. J'aime bien les couleurs très retenues, sobres et un peu grises, loin du faiseur de modes que nous connaissons habituellement. Beau dessinateur !


Intégralité des billets iconographiques sur l’enfance de Jésus :

L'Enfance de Jésus : le début de la série ; Adoration des bergers ; Adoration des mages ; Vierge à l'enfant ; Vierge à l'enfant, second volet ; le Massacre des innocents ; la Fuite en Égypte ; Circoncision et Présentation au temple ; l'enfance de Jésus (avec des révélations surprenantes)


C’est le dernier billet de cette série. On va faire une petite pause – partir en vacances – avant d’aborder la vie d’adulte. La semaine prochaine, préparez votre valise et vos lunettes de soleil, on prend le train !


 

4 commentaires:

  1. Chic pour le train (j'ai aussi un voyage de prévu, mais menaces de grèves, oups)
    J'ai scruté les livres dans les tableaux, repéré un rouleau (OK, cohérent), pour les autres, illustrés, c'est genre Bible de Gutenberg ou autre?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il ne faut pas chercher de cohérence et de vraisemblable dans les peintures, car elles ne sont pas là pour ça. À l'époque de Jésus, la Torah était en rouleau, mais les codex avaient également fait leur apparition pour les autres textes. À la Renaissance, la Torah est toujours en rouleau mais le Talmud est en codex. Le peintre peut choisir un rouleau "pour faire ancien", d'autant qu'en iconographie le rouleau renvoie à la parole des prophètes de l'Ancien Testament, en opposition au livre qui désigne les Évangiles, ou un codex car il s'agit d'un objet familier, et là l'iconographie sera plutôt celle des classes de rhétorique ou de philosophie, sachant que le peintre agit dans un contexte chrétien. Il ne semble pas que la Bible de Gutenberg comporte des illustrations. Mais les peintres aiment à représenter des peintures, des gravures et des images, ils ont pu en ajouter.

      Supprimer
  2. OKOK tu es un puits de scienc! Figure toi que j'ai chez moi un bouquin avec des gravures de G Doré, et bingo, tes thèmes précédents, y compris ce dernier, y sont!
    https://www.alamyimages.fr/photo-image-jesus-assis-au-milieu-des-docteurs-par-gustave-dore-1832-1883-30472605.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C’est une belle image. J’ai l’impression qu’elle se rapproche plutôt des images de Jésus et ses disciples, vu comme ils écoutent son enseignement.

      Supprimer

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).