La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 2 mars 2023

Dors dors ma petite marchandise, dors dors mon enfant.

 Jean-Claude Grumberg, La plus précieuse des marchandises, 2019, au Seuil.

 

C’est un conte. Mais pas un conte où des parents abandonnent leurs enfants faute de pouvoir les nourrir, comme on en racontait il y a plusieurs siècles. Un conte qui se passe dans un pays de forêts très froides, pendant une guerre mondiale. Une pauvre bûcheronne passe chaque jour près de la voie de chemin de fer, où passent d’immenses trains de marchandises, qui transportent des êtres humains. Un jour, un bébé tombe d’un convoi. Une merveilleuse petite fille.


Elle dort notre pauvre bûcheronne, elle dort, son bébé bien serré dans ses bras, elle repose du sommeil des justes, elle dort là-haut, bien plus haut que le paradis des pauvres bûcherons et des pauvres bûcheronnes, bien plus haut encore que l’Éden des heureux de ce monde, elle dort tout là-haut, dans le jardin réservé aux dieux et aux mères.

Notez l'usage du mot « juste ».


Voilà, une belle histoire tragique. Il y a une forêt et de pauvres bûcherons. Des traîtres et une petite fille au sourire lumineux. Des héros ordinaires. Une chèvre bienfaitrice. Un homme qui parvient à sauver sa fille.

Il y a surtout deux épilogues. Le premier qui rappelle que c’est un conte, que c’est juste une histoire de bébé sauvé, et que toute cette histoire est inventée. Le second qui rappelle qu’aucun bébé n’a été épargné et que la belle histoire n’est pas vraie.

Un texte tout en retenue, en poésie, en émotion.

 

Elle veut s’arrêter, glisser au sol, s’y répandre, disparaître dans les fougères, se dissoudre dans l’herbe haute en serrant de plus en plus fort sa petite tant aimée. Mais à ses pieds les renardeaux veillent. Ils courent, ils courent, ils courent, ils ont l’habitude, eux, de poursuivre et d’être poursuivis. Ils courent, ils s’arrachent du sol, ils courent sans peur et sans reproche. Vers où ? Vers où courent-ils ? N’ayez crainte, ils savent s’y rendre, ils connaissent le chemin, le chemin du salut.

 

Dessin de Max Teitel (Tetelbaum)


Les textes et les dessins des enfants de la maison d’Izieu sont numérisés. Vous pouvez les voir sur Gallica.

 


 

2 commentaires:

keisha a dit…

Il me semble avoir entendu parler de ce livre, bouleversant je présume...

nathalie a dit…

Tout petit livre, gros succès, très bouleversant en effet.