La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 22 février 2024

Je veux le monde entier, et aussi les étoiles.

 


Sue Hubbell, Une année à la campagne, parution originale 1983, traduit de l’américain par Janine Hérisson, édité en France par Gallimard.

 

Sue Hubbell est apicultrice dans un coin paumé du Missouri. Ce récit autobiographique rassemble des souvenirs et des réflexions selon les saisons de l’année et sa lecture en est fort agréable. Il y a l’observation attentive et la description du comportement des animaux, petits, tout petits (depuis le parasite de l’oreille d’un papillon) jusqu’au coyote, des listes de fleurs de toutes les couleurs, le récit de travaux épiques (comme la réfection d’une charpente) ou le récit du métier d’apicultrice, qui ne consiste pas seulement à regarder les abeilles butiner. Hubbell s’interroge sur son rôle dans l’écosystème de la région, comprenant bien qu’elle le perturbe (et quiconque a déjà nourri des oiseaux en hiver ne peut manquer de s’interroger sur son influence et sur la portée positive ou non de son action) (je m’interroge même sur ma responsabilité à l’égard des lombrics du compost) et décrit aussi la vie rurale de sa région avec affection.


Les bruants indigo sont des oiseaux de petite taille, mais vivaces. Ils s’imaginent que l’endroit leur appartient et il est difficile d’ignorer leurs revendications.

 

D’autres oiseaux se croient ici chez eux – les buses qui utilisent les courants d’air ascendants au-dessus de la rivière et du ruisseau, les chardonnerets, les dindons sauvages, les vanneaux, et les engoulevents.


Certains de ses choix peuvent étonner, mais j’apprécie que cette peinture de la vie rurale ne s’accompagne pas d’un récit idyllique « cottage instagram » : la narratrice n’aime pas faire la cuisine et on ne l’imagine pas coudre un plaid et orner son canapé de coussins au crochet. Elle fait de la mécanique pour entretenir son camion, scie son bois, même s’il y a de longues balades avec les chiens.


Mon élevage de poules, j’aime à le croire, est l’une des rares activités paysannes orthodoxes auxquelles je me livre dans mon domaine. Mais depuis quelques semaines, j’essaie d’inciter les poules à coucher dans le poulailler, et pour ce faire, j’ai été obligée de penser comme une poule, ce qui n’est pas orthodoxe du tout.

Portes de ruche, Slovénie, 1850, Museum, en dépôt au Mucem


Je retiens la scène de la chauve-souris, des moustiques et de la narratrice. Il est beaucoup question des petites bêtes, de toutes sortes d’araignées. Un certain accord de vie entre les poules qui fournissent des œufs à la narratrice et la narratrice qui fournit des œufs au serpent et des poules en nombre raisonnable au grand-duc, au renard, à l’épervier, etc.

Un livre intelligent et lumineux et bourré d’humour, avec beaucoup de modestie dans le rapport à la nature.

 

Lorsque les petites araignées émergent de l’œuf, elles grimpent sur le dos de leur mère et se cramponnent à elle. Celles que j’observais, des miniatures parfaites et délicates, étaient fort turbulentes et semblaient poser bien des problèmes à leur mère. Elles lui rampaient sur les yeux et elle était obligée de les écarter. Elles se bousculaient entre elles et plusieurs dégringolèrent à terre et se ruèrent vers ses pattes pour les escalader et retrouver la sécurité de son dos.

 

Et nous voilà donc revenus, avec ma manie interventionniste, à l’être humain responsable de l’installation d’un poulailler dans l’habitat d’élection des souris, déclenchant à l’origine tout le processus. (…) En tant qu’être humain, je me mêle un peu de tout ; j’interviens, je change, je modifie. Ce n’est ni bien ni mal, je joue mon rôle tout simplement, tout comme le serpent qui mange les souris et les vanneaux joue le sien. Mais étant un être humain, je suis nantie d’un cerveau qui me permet de m’apercevoir que lorsque je manipule et modifie n’importe quelle partie du cercle, il y a des répercussions sur l’ensemble.

 

C'est une autrice.

Le billet de Keisha.



5 commentaires:

keisha a dit…

Un de mes livres chouchous, lu deux fois, et je l'ai même acheté pour l'avoir au cas où!!!

nathalie a dit…

@Keisha : On me l'a prêté, mais je comprends !

je lis je blogue a dit…

Ce livre est dans ma liste depuis que j'ai vu quelqu'un le lire dans le bus. J'avais retenu le titre. Tu confirmes donc c'est une bonne pioche. Je ne suis pas sûre de pouvoir le lire dans un avenir proche mais ça viendra

Dominique a dit…

J'ai acheté ce livre à sa sortie en 1988, je l'ai aimé à la première lecture et lu et relu depuis sans jamais changé d'avis
Je l'ai prêté, offert, fait lire autour de moi, bien souvent cité par comparaison avec des lectures dans les années qui ont suivies

nathalie a dit…

@JeLisJeBlogue : ah ah tu fais du repérage dans le bus !!! Très amusant.

@Dominique : je ne connaissais pas du tout, mais oui, il a l'air d'être un classique. Cela ne m'étonne pas que tu l'apprécies.