La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 16 juillet 2011

Nous regardions la mer calme où des mouettes éparses flottaient comme des corolles blanches.


Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, 1921.

L’été, je relis un ou plusieurs volumes de la Recherche, c’est comme ça. Le miracle, c’est que chaque année, ce livre me parle de moi et de ce que je vis à ce moment. L’année dernière, la deuxième partie du Côté de Guermantes avec l’attente pleine d’impatience du narrateur, qui espère des nouvelles de son amoureuse. L’année précédente avec une prise de conscience qui s’opère pendant le dîner avec Norpois. Cette année, c’est Sodome et Gomorrhe et le narrateur réalise que sa mère est devenue sa grand-mère, après la mort de celle-ci, écho direct d’une conversation familiale… Chaque année, c’est aussi une petite plongée de bonheur. Mon livre est tout corné, je ne sais plus quel extrait vous mettre…

Le jet d’eau d’Hubert Robert dans l’hôtel de la princesse de Guermantes

Dans une clairière réservée par de beaux arbres dont plusieurs étaient aussi anciens que lui, planté à l’écart, on le voyait de loin, svelte, immobile, durci, ne laissant agiter par la brise que la retombée plus légère de son panache pâle et frémissant. Le xviiie siècle avait épuré l’élégance de ses lignes, mais, fixant le style du jet semblait en avoir arrêté la vie ; à cette distance on avait l’impression de l’art plutôt que la sensation de l’eau. Le nuage humide lui-même qui s’amoncelait perpétuellement à son faîte gardait le caractère de l’époque comme ceux qui dans le ciel s’assemblent autour des palais de Versailles. Mais de près on se rendait compte que tout en respectant, comme les pierres d’un palais antique, le dessin préalablement tracé, c’était des eaux toujours nouvelles, qui s’élançant et voulant obéir aux ordres anciens de l’architecte, ne les accomplissaient exactement qu’en paraissant les violer, leurs mille bonds épars pouvant seuls donner à distance l’impression d’un unique élan. Celui-ci était en réalité aussi souvent interrompu que l’éparpillement de la chute, alors que de loin, il m’avait paru infléchissable, dense, d’une continuité sans lacune. D’un peu près, on voyait que cette continuité, en apparence toute linéaire, était assurée à tous les points de l’ascension du jet, partout où il aurait dû se briser, par l’entrée en ligne, par la reprise latérale d’un jet parallèle qui montait plus haut que le premier, et était lui-même, à une plus grande hauteur, mais déjà fatigante pour lui, relevé par un troisième. De près, des gouttes sans force retombaient de la colonne d’eau en croisant au passage leurs sœurs montantes et, parfois déchirées, saisies dans un remous de l’air troublé par ce jaillissement sans trêve, flottaient avant d’être chavirées dans le bassin. Elles contrariaient de leurs hésitations, de leur trajet en sens inverse et estompaient de leur molle vapeur la rectitude et la tension de cette tige, portant au-dessus de soi un nuage oblong fait de mille gouttelettes, mais en apparence peint en brun doré et immuable qui montait, infrangible, immobile, élancé et rapide, s’ajouter aux nuages du ciel.

Hubert Robert, Intérieur de parc, XVIIIe siècle, Amiens, musée de Picardie, cliché RMN.


4 commentaires:

  1. tu es incryable nathalie et tu n'as pas pu lâcher ton blog bien longtemps! ta mère est devenue comme une sorte de grand mère? INCROYABLE
    je vois la mienne demain et ............

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  2. Pas du tout ça en ce qui concerne ma famille mais il y avait un écho de conversation (à partir de quand se met-on à ressembler à sa mère/son père ?) (une famille ce n'est pas juste des individus qui se succèdent mais il y a un fil invisible qui apparaît et qui disparaît).
    Et je vais de nouveau lâcher le blog quelques jours... c'était un billet express !

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  3. Adorable billet express ! Bon repos en famille !

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  4. Merci grillon ! C'était un vrai temps pour rester enfermée à lire !

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