La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



dimanche 14 août 2011

Je voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration.

Imre Kertész, Être sans destin, traduit du hongrois par Natalia et Charles Zaremba (1975), Arles, Actes Sud, 1998.

Un très grand livre à propos duquel il est difficile d’employer le verbe « aimer » tant il est déstabilisant. Lors de ma relecture pour ce blog, je n’ai cessé de me demander comment j’allais bien pouvoir vous en parler. Et donc, il y aura plein d’extraits.
  Une fois n’est pas coutume, quelques mots sur l’auteur. Imre Kertész est né dans une famille juive à Budapest en 1929. Il a été déporté à Auschwitz puis à Buchenwald puis à vécu dans la Hongrie communiste. Il a reçu le prix Nobel de Littérature en 2002.
  Ce roman (car ce n’est pas un livre de témoignages) relate l’expérience des camps. Mais d’une façon incroyable. Le narrateur, un jeune homme de 15 ans, ignore tout de l’histoire, ne sait que son histoire personnelle et semble ne jamais comprendre et toujours chercher à comprendre et à justifier.

La vieille dame – comme on disait dans mon wagon – était malade, et on supposait qu’elle était devenue folle, sans aucun doute à cause de la soif. L’explication semblait plausible. J’ai compris à cet instant seulement combien ils avaient raison, ceux qui disaient encore au début du voyage : quelle heureuse circonstance qu’il n’y ait dans notre wagon ni de tout-petits ni de très vieux, ni, espérons-le, de malades. L’après-midi du troisième jour, la vieille dame a fini par se taire. Alors on s’est dit : Elle est morte, parce qu’elle n’a pas eu d’eau. Mais bon, on le savait bien : elle était vieille et malade, et de cette manière tout le monde, y compris moi, trouvait la chose compréhensible, en définitive.

Les expressions les plus fréquentes : « naturellement », « en somme », « il faut bien comprendre », « pour ainsi dire ». Par exemple, il est naturel qu’un soldat éprouve de la répugnance pour les prisonniers, sinon comment les battre et les éliminer ? Si on se met à sa place, c’est bien compréhensible... d’autant que tous ces hommes pleins de gale, de vermine et de maladie sont bien écœurants… tout est décrit ainsi.

Je ne sais qui commandait ni comment cela s’est passé – je me rappelle seulement qu’une sorte de pression pesait sur moi, qu’une espèce d’élan m’emportait, me poussait, me faisant un peu trébucher dans mes nouvelles chaussures, dans un nuage de poussière et avec d’étranges bruits sourds derrière moi, comme si on frappait le dos de quelqu’un, en avant vers de nouvelles cours, de nouvelles grilles, des barbelés, des clôtures qui s’ouvraient, se fermaient et se confondaient finalement à mes yeux en un fouillis flou et embrouillé.

Kertész tient à ne pas être une simple victime, son titre et la fin du livre insiste sur quelque chose d’important à ses yeux : tout le monde a fait de petits pas dans la direction des événements, même lui, même ceux qui sont morts. Les choses « n’arrivent » pas simplement, il faut pour cela que les humaines les fassent. L’expérience du camp est précisément l’expérience de l’absence de destin pour les humains.

Zoran Music, Dachau, Corps emporté par trois hommes1945
Paris, musée national d'Art moderne, image RMN

Le froid, l’humidité, le vent ou la pluie ne me gênaient plus : ils n’arrivaient pas jusqu’à moi, je ne les ressentais pas. Même ma faim avait passé ; je continuais à porter à la bouche tout ce que je trouvais, tout ce qui était mangeable, mais plutôt distraitement, machinalement, par habitude pour ainsi dire. Le travail ? Je ne tâchais même plus de faire semblant. Si cela ne leur plaisait pas, eh bien, tout au plus ils me battaient, ils ne pouvaient pas vraiment me faire de mal, de toute façon, je gagnais du temps : dès le premier coup, je me jetais à terre et ne sentais plus les autres, car je m’endormais aussitôt.

Ici, un entretien de l'auteur. 
Un des livres les plus impressionnants sur le sujet en ce qui me concerne.


Challenge littérature juive de Mazel

4 commentaires:

Alex Mot-à-Mots a dit…

Ton titre m'a mis en allerte. je suis tentée par le livre, même si une plongée dasn l'univers concentrationnaire est toujours destabilisante.

nathalie a dit…

Le titre est (comme toujours) une citation du livre, peut-être la plus célèbre, car la plus choquante. C'est un livre vraiment particulier mais un très grand auteur.

Marie a dit…

Je l'ai lu il y a quelques années. C'est effectivement un grand livre, original par la vision particulière du narrateur. C'est une lecture qui m'a marquée.

nathalie a dit…

Marie : oui, je crois que la question n'est pas d' "aimer" ou non, on est presque toujours marqué, frappé par cette lecture.