La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 13 septembre 2011

Cher ami inconnu, et que j'appelle cher parce que tu es inconnu, livre-toi aux arts avec confiance.


Stendhal, Histoire de la peinture en Italie, introduction et commentaires de Claudia Salvi, 1e édition 1817, Paris, La Renaissance du Livre, 2003.

Ma deuxième devinette de samedi a lamentablement fait flop (jouer avec des classiques devient de plus en plus difficile à l’ère de Google) mais il s’agissait de vous faire découvrir cet ouvrage de Stendhal (en l’occurrence, son commentaire de la Pietà de Michel-Ange – j’y reviens).

Quelques mots tout d’abord du projet de Stendhal, grand amoureux de l’Italie. Il avait tout d’abord souhaité traduire la Storia pittorica della Italia de l’abbé Luigi Lanzi (1792). Au fur et au mesure, il s’émancipe de son modèle. Il réduit le volume, réécrit, améliore (Stendhal, contrairement à Lanzi, est écrivain) et se documente. Il préfère les ouvrages un peu anciens aux plus récents, mêle ses impressions personnelles. Surtout pas d’érudition, le maître mot est DILETTANTE.
Cet ouvrage est bien évidemment à replacer dans l’histoire du goût. La vénération pour Raphaël. La méconnaissance des primitifs et si Stendhal reconnaît les mérites individuels de Giotto qui a fait progresser la peinture, il avoue demeurer insensible à son art. La croyance en un progrès des arts à partir de la Renaissance. Des aspects de sa pensée qui peuvent nous choquer aujourd’hui :

Giotto, La Présentation de Jésus au temple, 1304-1306,
Italie, Padoue, cappella degli Scrovegni, image RMN.

Pour être juste envers cet homme rare, il faut regarder ses prédécesseurs. Ses défauts sautent aux yeux ; son dessin est sec ; il a soin de cacher toujours sous de longues draperies les extrémités de ses figures, et il a raison, car il s’en tire fort mal. Au total, ses tableaux ont l’air barbare.
Il n’est pas un de nos peintres qui ne se sente une immense supériorité sur le pauvre Giotto. Mais ne pourrait-il pas leur dire : Sans moi, qui suis si peu, vous seriez moins encore (Boursault). Il est sûr que quand un bourgeois de Paris prend un fiacre pour aller au spectacle, il est plus magnifique que les plus grands seigneurs de la cour de François Ier. (...) Faut-il conclure que le connétable de Montmorency ou l'amiral Bonnivet étaient des gens moins considérables dans l'État que le petit marchand de la rue Saint-Denis ?

Alors, la touche personnelle de Stendhal. La langue, rapide, élégante, brillante. La louange des Italiens pour mieux déplorer l’insuffisance des artistes et des spectateurs français. L’athéisme, particulièrement sensible face aux œuvres de Michel-Ange (Pietà et fresques de la Sixtine) ou face à la Cène de Léonard de Vinci :

Léonard de Vinci, La Cène, 1495-1497,
 Réfectoire du couvent santa Maria della Grazie (Milan)
image RMN
Il s’agissait de représenter ce moment si tendre où Jésus, à ne le considérer que comme un jeune philosophe entouré de ses disciples la veille de sa mort, leur dit avec attendrissement : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous doit me trahir. » Une âme aussi aimante dut être profondément touchée, en songeant que parmi douze amis qu’il s’était choisis, avec lesquels il se cachait pour fuir une injuste persécution, qu’il avait voulu voir réunis ce jour-là en un repas fraternel, emblème de la réunion des cœurs et de l’amour universel qu’il voulait établir sur la terre, il se trouvait cependant un traître qui, pour une somme d’argent, allait le livrer à ses ennemis. Une douleur aussi sublime et aussi tendre demandait, pour être exprimée en peinture, la disposition la plus simple, qui permît à l’attention de se fixer tout entière sur les paroles que Jésus prononce en ce moment. Il fallait une grande beauté dans les têtes des disciples, et une rare noblesse dans leurs mouvements, pour faire sentir que ce n’était pas une vile crainte de la mort qui affligeait Jésus.

Beaucoup de sensibilité dans certains textes (le Corrège, Michel-Ange), un immense amour de la peinture, une envie irrésistible d’Italie, font le charme de ce livre.
Je vous conseille cette édition, magnifiquement illustrée. Et voici la 2e pierre au challenge Stendhal lancé par l'amie George.


10 commentaires:

grillon a dit…

Une découverte pour moi ... un livre à mettre dans sa bibliothèque et à consulter régulièrement ! Merci !
À vrai dire, toujours attirée par les artistes du Nord, je lis beaucoup moins d'ouvrages autour de la peinture italienne, mais cet été j'ai découvert avec ravissement un livre du philosophe Paul Veyne traitant de cette peinture, " Mon musée imaginaire " , et cela m'ouvre des horizons.
Bonne semaine !

Aymeline a dit…

Je le lirai bien il a l'air très intéressant :)

nathalie a dit…

Mais oui, comment se priver de la peinture italienne ? C'est un beau livre intéressant.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Cela ne m'étonne pas que Henri-Georges ai écrit un livre sur l'art italien.

nathalie a dit…

Ce n'est tellement pas étonnant qu'il en a écrit plusieurs, en reprenant ses notes (commentaire à venir).

Les Livres de George a dit…

Belle idée que de lire cet ouvrage de Stendhal peu connu et qui témoigne de son admiration (sa passion) pour l'Italie ! j'ai repris ton lien pour le challenge !

nathalie a dit…

Oui, j'ai mis le lien parmi les commentaires de ton billet récapitulatif sur ce challenge.

ysa a dit…

Franchement je me suis dit que ma culture ne dépassait pas les pages du dictionnaire Larousse des années 1960... Donc même pas la peine d’essayer .j'ai lu et le seul terme de "très connu" m'a clouée sur place.

sophie57 a dit…

très intéressant ce billet(ça change da rentrée littéraire ;), surtout pour une fan de Stendhal comme moi!

nathalie a dit…

Ah oui, ce n'est pas récent, récent (bientôt 200 ans) mais ça reste totalement incontournable.