La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 2 octobre 2012

Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c’est toute ma love-story.


Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, traduit du tchèque par Anne-Marie Ducreux-Palenicek, 1e diffusion clandestine à Prague en 1976, Paris, Robert Laffont, 1983.

Un très court et très fort roman. Le narrateur passe ses journées dans une cave à presser des livres. Avec sa machine, il fabrique des blocs de papier qui seront ensuite envoyés à une usine de papier recyclé pour devenir… des journaux, d’autres livres… Mais nous ne sommes pas dans un monde habituel. Car les livres arrivent par tonnes, toujours renouvelées. Pendant la Seconde guerre mondiale, les livres venaient de belles bibliothèques. Mais la guerre a cessé et les livres sont toujours pilonnés et détruits, tous. Le narrateur le fait à sa manière sensible, plaçant au cœur de chaque ballot un livre de philosophie, enveloppant ses bottes de livres de reproductions d’art, volant quelques beaux livres, les redonnant, les lisant en cachette, les sauvegardant chez lui. Il fait mal son travail et n’est pas très efficace, un peu vieux dans cette société jamais décrite mais où la vie se glisse dans des interstices, où les livres ont la valeur de leur papier. Le narrateur a la tête emplie des philosophes qu’il a lus en cachette, des souris qui font leur nid dans les tas de papier et qu’il écrase avec sa presse et de tous ses souvenirs…


H. Hoffman, Autodafé du 10 mai 1933, étudiants et 
membres du S.A. chargent des livres destinés à être 
détruits sur un camion, Munich, 
Bayerische Staatsbibliothek, image RMN.


C’est un livre triste, qui n’est pas sans rappeler Fahrenheit 451 même si le monde représenté nous est beaucoup plus proche. Une écriture très sensible aussi qui rend parfaitement les états d'âmes du narrateur avec ses rêves, vivant dans une société glaciale.

Si je me retourne brusquement, si je crie ou m’agite en dormant, j’entends, épouvanté, le glissement des livres, il suffirait d’un frôlement, d’un cri pour que tout s’abatte du ciel sur moi comme une avalanche, une corne d’abondance qui viderait sur moi ses livres rares et m’aplatirait comme un pou, j’ai souvent l’impression d’un complot tramé par ces livres pour venger les innocentes souris que je mets tous les jours en bouillie.

Un livre prêté par Ysa, merci !
L'avis de L'or des livres,

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