Arthur Young, Voyages en
France pendant les années 1787, 1788, 1789,
paru en 1792, traduit par H. J. Lesage en 1882
Je vous préviens, j’ai été enthousiasmée
par cette lecture (mais je vais essayer de rester sobre).
Young est un agronome anglais,
agriculteur expérimentateur et voyageur observateur : il veut examiner
l’état de l’agriculture dans divers pays et quadrille la France au cours de
trois voyages. Nous lisons le journal d’un homme sympathique, d’un humour très
pince-sans-rire, admirateur de Jean-Jacques Rousseau.
C’est un passionnant
témoignage : l’état de l’agriculture d’un pays reflète sa richesse et
Young note si les paysans vont chaussés ou pieds nus, si les chaumières ont des
vitres, reflet de leur misère. Il fait le lien avec le mode d’administration et
notamment le système féodal, critiquant férocement les seigneurs qui résident à
la Cour, qui se détournent de leur domaine et n’ont pour agriculture que
d’immenses forêts pour leurs chasses. Chaque paysan devrait pouvoir posséder sa
terre. Il note de même l’état du commerce en mesurant le faible encombrement
des routes, l’état des chemins, des transports, des auberges (déplorables) et conclut
au faible développement économique de la France de la fin du XVIIIe
siècle.
La campagne est déserte, ou si quelque gentilhomme l’habite, c’est dans quelque triste bouge, pour épargner cet argent, qu’il vient ensuite jeter dans les plaisirs de la capitale.
François Boucher, Passage de la rivière à gué, Saint-Pétersbourg, Musée de l'ermitage, M&M |
Il y a peu de notes sur les
villes. Il s’intéresse à leur activité économique (ports, industries) et
Bordeaux, Le Havre le frappent particulièrement. En dépit d’une certaine
culture artistique, en homme de son temps, il n’a aucun intérêt pour les villes
médiévales (peu pratiques, pas rationnelles et sans hygiène) et ne loue que
l’urbanisme moderne. Le seul point où l’on voit poindre le bout du romantisme
est dans son appréciation des montagnes, des Pyrénées ou des volcans
d’Auvergne, dont la vue l’impressionne.
Young écrit bien avant le
tourisme et ne conçoit l’utilité économique de l’aménagement du paysage qu’en
terme d’agriculture et de commerce : la terre doit nourrir le paysan,
permettre de nourrir les villes à un coût correct et de permettre un
commerce plus étendu (comme le vin et les parfums de Grasse). Le climat de la
Provence le laisse donc sec, car peu propre à la culture.
C’est assez répétitif (c’est le
principe d’un journal) mais les contemporains devaient s’intéresser à sa
notation scrupuleuse des mérites et défauts respectifs de toutes les
auberges. On voit d’ailleurs la façon de voyager propre aux gentilshommes de
son temps : avec des lettres d’introduction pour rencontrer tel ou tel
personnage. Avec la Révolution, c’est l’avènement de la bureaucratie et d’une
classe d’hommes nouveaux exigeant le bon papier.
Quand il descend de son cheval,
c’est pour rencontrer de nobles cultivateurs, des savants, des industriels ou
toute personne chargée de l’aménagement d’une terre. Il prend beaucoup plus
d’intérêt à la conversation de ceux qui ont une expérience pratique de
l’agriculture et est plus sceptique avec ceux qui se contentent de la théorie.
C’est un regard ironique sur la fameuse France des Lumières.
En bon anglais, il loue la libre industrie :
M. de la Livonière s’entretint longuement de mon voyage, qu’il loua beaucoup ; mais il lui sembla extraordinaire que ni le gouvernement, ni l’Académie des sciences, ni celle d’agriculture ne m’en payent au moins les frais. Cette idée est tout à fait française : ils ne comprennent pas qu’un particulier quitte ses affaires ordinaires pour le bien public sans que le public le paye ; et il ne m’entendait pas non plus quand je lui disais qu’en Angleterre, tout est bien, hors ce que fait le gouvernement.
Si l’Angleterre est généralement
jugée supérieure pour son système politique garantissant les libertés, son
développement économique des villes et des campagnes, le réseau de ses routes
et de ses hôtelleries, ses chevaux et ses « commodités », la France
l’emporte pour l’art de la peinture, du théâtre, le vin, la douceur des mœurs
et l’ouverture d’esprit.
Fragonard, Le Taureau blanc à l'étable, avant 1765, Musée du Louvre, M&M |
Le troisième et dernier voyage
est particulièrement remarquable car il se déroule en pleine Révolution. Young
se trouve à Paris en juin 1789 et il raconte particulièrement bien l’état
d’esprit qui règne dans la capitale : l’effervescence des journaux, des
cafés, des pamphlets, des conversations, le déroulement des débats dans les
assemblées, les maladresses des uns, l’intransigeance des autres, avec le rôle
des foules. Partant ensuite en province, il réalise que les journaux
d’actualité sont peu présents dans les villes et qu’il est presque impossible
de se tenir au courant des faits politiques. Il en est réduit aux lettres
privées pour connaître l’actualité. Le contraste entre Paris et la province est
saisissant. C’est ainsi que les rumeurs les plus alarmistes et les plus
fantaisistes peuvent circuler, profitant de la peur et de l’ignorance dans
lesquelles se trouvent les populations.
Il a alors souvent des
difficultés à prouver son identité. J’ai été frappée du fait que puisque la
population parle massivement patois, elle n’entend pas, au sens propre, son
accent anglais et ne se rend pas toujours compte qu’il n’est pas français.
"La plus belle chose que j’aie
encore vue à Paris, c’est la Halle aux blés, immense rotonde ; la
couverture, entièrement en bois, sur un nouveau système de charpente,
demanderait, pour en donner une idée, quelques planches accompagnées de longues
explications ; la galerie a 150 pas de circonférence, par conséquent
autant de pieds de diamètre : à sa légèreté, on la dirait suspendue par
des fées. Des grains, des haricots, des pois et des lentilles sont emmagasinés
et vendus sur l’aire centrale ; la farine est mise sur des plates-formes
de bois dans les divisions qui entourent cette aire. On arrive par des
escaliers tournants enlacés l’un dans l’autre, à de grandes salles pour le
seigle, l’orge, l’avoine, etc. Le tout est si bien conçu et si admirablement
exécuté, que je ne connais pas, en France ou en Angleterre, un monument qui le
surpasse."
Vous l’aurez compris, ce n’est
pas de la littérature mais un témoignage passionnant sur la fin du XVIIIe
siècle français et sur les débuts de la Révolution française.
Un livre historique qui permet un autre éclairage sur ce siècle.
RépondreSupprimerj'ai téléchargé ce livre car il est publié en numérique gratuitement mais je ne l'ai pas encore lu
RépondreSupprimerc'est à la fois la période et la personnalité de l'auteur qui m'a attiré, la france de la révolution vue par un anglais !
ton billet me pousse à le lire bientôt
Mais où tu as trouvé cette lecture ?
RépondreSupprimerYsa : comme le dit Dominique, ça se trouve très facilement en numérique. Quand j'ai vu le titre, j'ai foncé !
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