Johann Joachim Winckelmann, De la
description, textes traduits et présentés par Élisabeth Décultot, Macula,
2006.
Après avoir admiré les statues les plus célèbres du Vatican, j’ai eu
envie de relire Wincklemann, que j’avais croisé lors de mes années d’histoire
de l’art. Wincklemann, c’est un allemand du XVIIIe siècle, qui a
beaucoup rêvé des merveilles romaines avant de pouvoir les découvrir de ses
yeux. Il passe finalement sa vie à Rome, secrétaire particulier d’un cardinal,
à écrire et à admirer.
Il est communément considéré comme le premier historien de l’art pour
avoir compris qu’il fallait établir une histoire à partir des œuvres, et non
rédiger une suite de biographie d’artistes. Il ne s’intéressait qu’aux œuvres
de l’Antiquité, mais c’est un des premiers à avoir compris que ces magnifiques
statues devant lesquelles il s’extasiait n’étaient que des copies. Des copies
romaines (en marbre) d’après des œuvres (en bronze) grecques. Avant
Winckelmann, on ne faisait pas trop la distinction entre les
« Anciens », mais lui distingue Grecs et Romains.
Fasciné par l’art de la Grèce antique, il tente d’en établir une
histoire à partir des minces fragments à avoir traversé les siècles (et à
partir d’une vision cyclique de l’histoire un peu problématique). L’art de la
Grèce antique est le plus beau, politiquement et artistiquement, selon lui. Il
faut dire qu’il a grand goût pour les statues de nus masculins…
Quant à la couleur grecque dont je vous ai parlé ? Il l’ignore
superbement.
Le livre que j’ai relu ne contient pas tous ses textes, mais seulement
une sélection de ses descriptions de quelques œuvres phares.
En dépit de tout ce qui nous sépare de lui, on ne peut qu’être
impressionné par la capacité de Winckelmann à décrire avec sensualité ces
marbres, à ressentir de l’empathie pour ses corps, à rêver indéfiniment à cette
beauté disparue. Foin de la distance classique ! Winckelmann vibre. C’est
au spectateur d’insuffler vie aux œuvres.
Le beau dans l’art exige plus de sensibilité que le beau dans la
nature, parce que le beau artistique est sans vie, comme les larmes au théâtre
sont sans douleur. C’est l’imagination qui doit le faire vivre et en tenir
lieu.
Un point intéressant : en suivant des auteurs comme Homère,
Winckelmann constate que les dieux sont dépourvus de sang. Les statues divines
ne doivent pas posséder de nerfs, ni de tendons. Tout le travail que nous
admirons souvent (les détails d’une veine sur un pied) signale en réalité la
nature humaine, et non l’élan divin.
Car ici, rien de mortel, rien qui réclame l’humaine misère. Aucune
veine, aucun tendon pour réchauffer et pour mouvoir ce corps, mais un esprit
céleste qui, se déversant comme un doux fleuve, en a pour ainsi dire rempli
toute l’enveloppe.
Torse du belvédère
Où l'on voit le désir d’une langue poétique pouvant rivaliser avec l’œuvre
plastique :
Ces muscles devaient fournir au corps les moyens d’exécuter tout ce
qu’il voulait accomplir. De même que, sur une mer commençant à enfler, la
surface de l’eau, calme encore quelques instants auparavant, se met à se soulever
dans une agitation charmante en se couvrante de vagues dansantes, l’une
engloutissant l’autre puis l’expulsant de nouveau en rouleaux, de même dans
cette statue chaque muscle, doucement gonflé et tendu avec souplesse, se fond
dans un autre. Entre deux muscles se soulève un troisième, renforçant le
mouvement des premiers et se perdant en eux. Notre regard est comme englouti.
Le Laocoon
Le Laocoon, ce n’est pas
n’importe quelle statue. C’est le plus grand et le plus bel antique découvert à
Rome, presque entier, en 1508, en pleine Renaissance. C’est aussi un rare
exemple de statue dont on connaît un texte poétique antique contant le même
moment (oui, c’est Virgile qui parle de cet homme étouffé par un python géant
avec ces deux fils). Pour ceux qui aimaient comparer poésie et peinture (un
sport anciennement très répandu), c’est du pain béni. Enfin, Pline l’Ancien
mentionne cette (ou une autre ?) statue en disant qu’elle était déjà
célèbre en son temps. Encore mieux ! Cette statue a été dessinée, gravée,
copiée, modelée, restaurée, dérestaurée, photographiée, dans l’Europe entière
pendant des siècles. Bref, c’est une star, une vraie.
La première caractéristique générale des chefs-d’œuvre grecs réside
enfin dans leur noble simplicité et leur grandeur sereine, qualités qui
concernent aussi bien l’attitude que l’expression. De même que le fond de la
mer reste invariablement calme, quelque violente que soit la tempête à la
surface, de même dans les statues grecques, l’expression traduit toujours, en
dépit des passions, une âme grande et sereine.
Photographies MNG, M&M. Le dessin de Rubens d'après Laocoon est tiré du livre de Décultot.
encore une fois bravo pour ton titre! tu es championne.
RépondreSupprimerWinckelmann, c'est une excellente idée que je note
Il faut dire que le titre est de Winckelmann lui-même décrivant avec enthousiasme l'Apollon du Belvédère !
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