La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 25 juin 2015

Moé, j’aime pas ben ça le monde trop beau.

Michel Tremblay, C’t’à ton tour, Laura Cadieux, 1973.

Le livre est un long monologue – d’ailleurs il a été adapté au théâtre – de Laura Cadieux, grosse femme passant son après-midi dans la salle d’attente d’un médecin avec d’autres copines. Nous suivons ses pensées et les réparties de tout le monde.

On l’entend quand à rit, mais on l’entend aussi quand à parle, elle, pis sus un temps rare, à part de t’ça ! Mais est ben fine. Pis est tellement drôle. J’y ai donné les darnières nouvelles du salon. Y’avait pas grand-chose d’excitant.

Tremblay a ici reconstitué, ou mieux créé, un langage oral assez improbable. Il est conseillé de lire le livre à haute voix plutôt qu’à voix basse pour tout comprendre, car la lecture n’est pas toujours très aisée. Cette invention d’une langue populaire  est un véritable tour de force.

Si c’t’un tour, là, j’vous étripe, madame Cadieux, pis j’vous vends en boudin, j’vas faire une fortune ! Ben, répondez, restez pas de même comme une statue de plâtre, vous avez pas l’air d’une sainte Thérèse pantoute !
Sculptures de Niki de Saint-Phalle
 La réussite de Tremblay est de parvenir à créer un personnage comme on peut en croiser dans la vie (et que personnellement je ne trouve pas très sympathique). Laura Cadieux ne s’aime pas, est complexée, mais ne veut pas qu’on lui dise. Elle n’a pas sa langue dans la poche et envoie les réparties avec franchise. Paradoxalement sans complexe, elle critique les bonnes sœurs, les homosexuels, les émigrés et ses copines avec qui elle passe des moments inoubliables. Que vient-elle faire dans cette salle d’attente ? Suivre un traitement qui ne mène à rien, se confier à un médecin dont elle se méfie, papoter avec les copines, passer le temps… Derrière la grande gueule joyeuse, un grand vide peut s’ouvrir d’un coup.
Le lecteur passe un étrange moment en sa compagnie.

Le corps… le corps… J’vous dis que si j’me sus-tais arrêtée à ça, j’l’arais pas marié pantoute, Pit ! Y’est ben fin des fois, mon mari, pis je r’grette pas de l’avoir marié, mais on peut pas dire qu’y’est beau à se sacrer à genoux devant ! Pis comme chus pas une Popeye moé-même, on va ben ensemble.

Merci à Sylvie pour la lecture !




8 commentaires:

Alex Mot-à-Mots a dit…

Cette langue un peu trop lâchée m'aurait rebutée.

jimmy morneau a dit…

"Tremblay a ici reconstitué, ou mieux créé, un langage oral assez improbable." Il me semble qu'il n'a pas créé un langage oral assez improbable tout simplement parce que moi-même je parle comme ça, comme une grande partie des Québécois....et même c'est encore pire dans les villages éloignés des grands centres (où j'habite). De ce que j'en sais Tremblay a "transposé" en mots la langue de Montréal. Mais ceci dit je ne suis pas un spécialiste de Tremblay tout simplement parce que je ne l'ai jamais lu et je me base sur tes extraits. Bonne journée...

nathalie a dit…

Il faut le lire à haute voix, c'est plus facile. La langue n'est pas lâchée, elle est très travaillée pour parvenir à cette imitation de l'oralité.

nathalie a dit…

On (= des québécois) m'avait dit que c'était un peu exagéré. Il est possible qu'il rassemble en une phrase ou condense des tics de langage. Je ne pense pas non plus que tous ces livres effectuent le même travail (pas de joual ici par exemple).
Tremblay est à lire, c'est vraiment jouissif en général.

jimmy morneau a dit…

Ok. Je devrai en lire plus pour me faire une meilleure idée. Par contre, si c'est des gens de Montréal qui t'ont dit ça, il ne faut pas trop les écouter, ils sont généralement très déconnectés du reste du Québec. J'imagine que c'est pareil avec Paris et le reste de la France. ;))

nathalie a dit…

Sans doute... je suppose aussi qu'il faut distinguer où Tremblay utilise des mots de joual et les autres. Celui-ci fait partie des autres (hum... vaste catégorie), mais comme il s'agit d'un monologue, il force sans doute "l'oralisme" .

Karine:) a dit…

Je crois que Tremblay a retranscrit en mots le parlé populaire montréalais d'une certaine époque. Du coup, ça paraît exagéré aujourd'hui, mais ce joual était le reflet d'une culture il y a quelques dizaines d'années. Je m'étais amusée à lire du Tremblay avec l'accent lors d'une précédente édition de Québec en septembre... les gens avaient bien ri!

nathalie a dit…

C'est notamment le cas dans la saga sur le plateau du Mont-Royal, j'ai l'impression que c'est moins le cas ici. Mais c'est toujours aussi vrai et vivant.