La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 5 juin 2015

Tu joues avec la vie, enfant, et j’ai peur que la vie ne joue avec toi.

Honoré de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, 1841.

Un petit Balzac intéressant et réussi, malgré la thèse un peu lourde de l’auteur (comme souvent chez Honoré).
Deux amies s’échangent des lettres depuis leur sortie du couvent. Renée, en Provence, va faire un mariage de convention. Elle parle de dévouement et se méprise un peu. Elle a des enfants et crée patiemment une petite cellule familiale très heureuse qui traverse le siècle. Pendant ce temps, Louise, grande aristocrate parisienne, choisit le mariage d’amour avec Felipe, noble arabo-espagnol. Nous allons suivre les deux trajectoires.

Disons tout de suite ce qui fâche : la thèse de Balzac à savoir que les femmes sans enfant l’ont forcément voulu et paieront chèrement cet égoïsme. Il y a un ou deux passages bien crétins.

En revanche, beaucoup de passages sont réussis, notamment ceux où les personnages prennent le dessus sur l’auteur. C’est ainsi que Balzac chante merveilleusement bien les angoisses et les joies de la jeune mère, celle qui guette les progrès de chaque jour, qui voit grossir un être nourri uniquement de son lait, celle qui essaie de faire manger, de faire se laver un enfant. Les ruses et stratégies de la vie quotidienne sont très finement racontées. Comme le célibataire Maupassant raconte parfaitement la douceur de la vie à deux dans Fort comme la mort, Balzac, l’homme sans enfant, se projette dans la maternité avec une justesse étonnante. Autre réussite : la description du mariage qui lie définitivement une femme à un homme, l’ignorance où sont tenues les jeunes filles et le brutal apprentissage du couple. Le destin des femmes du XIXe siècle n’est pas à envier et leur angoisse est remarquablement décrite, notamment quand Renée supplie Louise de ne pas se marier, même par amour. En cela, le roman est une analyse psychologique très réussie.
Botticelli, Vierge à l'enfant, détail du tableau du
musée Fesch d'Ajaccio, RMN.

Le lendemain du mariage, le terrible fait qui change la fille en femme et l’amant en mari, peut renverser les élégants échafaudages de tes subtiles précautions.

Enfin, la présence de Felipe apporte une touche espagnole, mystérieuse et sauvage au roman de Louise. Comme la Mathilde du Rouge et le noir, Louise tient par dessus tout à son orgueil. Se plaignant de sa société bourgeoise et donc forcément médiocre, elle en appelle aux figures de la chevalerie ancienne, supposément plus rudes, franches et audacieuses. De plus, la fin reste relativement inattendue, notamment cette peinture d’une thébaïde d’amour pas très loin de l’ermitage de Des Esseintes. C’est tout de même la force d’un grand romancier de se renouveler ainsi.
À lire malgré ses défauts ! J’ai personnellement apprécié l’hommage rendu au mobilier du XVIIIe siècle, si gracieux, si élégant, si féminin, renvoyant au monde disparu des salons mondains de l’Ancien régime.

Nous avons un homme à qui je puis dire : Allez mourir pour moi !... Et il est de caractère à y aller, je le crois du moins. Enfin, il y a dans Paris un homme à qui je pense, et dont le regard m’inonde intérieurement de lumière. Oh ! c’est un ennemi que je dois fouler aux pieds. Comment, il y aurait un homme sans lequel je ne pourrais vivre, qui me serait nécessaire ! tu te maries et j’aime ! Au bout de quatre mois, ces deux colombes qui s’élevaient si haut sont tombées dans les marais de la réalité.

2 commentaires:

Le Salon des Lettres a dit…

J'espère bien le lire, d'autant plus que je suis dans ma période Balzac !

nathalie a dit…

Ah oui, c'est un classique même si on ne lit pas tout.