La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 25 septembre 2015

Quand on lit un roman anglais, on se figure être sur un champ de bataille.

Louis-François-Marie Bellin de La Liborlière, La Nuit anglaise, 1799, édité actuellement chez Anacharsis.

Une distraction gothique.
Le narrateur s’installe commodément dans un cimetière afin que l’atmosphère l’inspire et qu’il puisse écrire un brillant roman anglais comme c’est alors la mode. Là, il trouve un manuscrit…
Le manuscrit relate les aventures d’un certain Dabaud, bourgeois enrichi pendant la Révolution, qui n’en peut plus des romans mièvres de son temps et qui découvre tout à coup la merveille des romans dits anglais (que nous appelons gothiques) : écrits par des anglais, mais se passant dans les cryptes catholiques italiennes, agitant spectres, bandits et blanches héroïnes… Oui, mais voilà qu’une nuit, il s’éveille dans un souterrain mystérieux… il va vivre une vraie nuit anglaise !

Vous vous plaignez précisément de ce qu’il y a de plus beau dans votre histoire, répondit le moine ; c’est d’avoir un grand nombre d’aventures inutiles qui étonne celui qui les lit. Le héros n’est plus rien dans un roman, c’est le lecteur qui est out : pourvu qu’il frissonne et qu’il soit en suspens, les personnages ont beau faire tout ce qu’ils veulent, peu importe.

Dabaud est un bourgeois bavard et raisonneur, un lecteur de l’Encyclopédie, qui cite pêle-mêle ses lectures préférées. C’est un roman potache, mariant l’admiration pour Ann Radcliffe et l’art de la parodie, le but est plus de faire rire que d’avoir peur, d’autant que le lecteur se doute assez vite de la réalité. C’est ainsi que le texte est littéralement truffé des citations d’environ une dizaine de romans. Dabaud a conscience de devoir passer en une nuit par toutes les péripéties traditionnelles des romans anglais et ne manque pas de souligner son effroi et son plaisir pris comme à une fête foraine. Notons qu’il trouve même une véritable armoire contenant tous l’attirail nécessaire à une bonne radcliffade  (par exemple, des chandelles qui s’éteignent toutes seules).
Cadavres dans les catacombes, Lavis anonyme, école française du XVIIIe siècle,
conservé au Worcester Art Muséum, scanné sauvagement.


Le vieillard prit M. Dabaud par la main, et tous deux marchèrent vers la porte du Nord qui s’ouvrit avec un grincement aigu, avec un cri aigre, en un mot avec tout ce que peut faire une porte en pareil cas.

S’il n’est nullement nécessaire d’avoir lu des romans gothiques pour apprécier le livre (j’ai un témoin), ce n’est pas mal d’en connaître un ou deux. Mais c’est avant tout un roman pour lecteurs amoureux de la lecture, prêts à accepter les postulats de l’aventure, malgré les contradictions et les invraisemblances évidentes.

Le livre est précédé d’un point sur le succès des romans gothiques pendant la Révolution et sur leurs nombreuses parodies. Notez que Jane Austen entreprend Northanger Abbey en 1798…

On peut assurer avec vérité que jamais héros entouré de ruines, poursuivi de spectres, ébloui de lumières miraculeuses, assailli d’orages, ou attaqué par des brigands, des condottieri et des faux-monnayeurs, ne fut agité de plus de sentiments à la fois que M. Dabaud dans ce moment terrible.
-       Hélas, s’écria-t-il douloureusement, il y a sans doute pour sortir d’ici un chemin plus court que cette maudite colonnade, où je vois déjà qu’il m’arriver toutes sortes d’événements ; mais il faut bien que, comme tous les autres, je me prête à ce qu’on exige de moi pour allonger l’histoire.

Merci Marie-Neige pour la lecture.

2 commentaires:

  1. Oh, voilà qui est tentant !
    Ann Radcliffe et moi, c'est une histoire d'amour.

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    1. C'est une petite chose qui fait sourire. Ça donne aussi une idée ce qui s'est passé quand est arrivée en France la mode du roman anglais (comme celle du roman de vampires ici il y a quelques années).

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