Gustave Flaubert, Voyage en Orient, 1851.
J’étais sceptique en commençant
ce gros livre, mais au vu du goût de Flaubert pour l’Orient (Salammbô et Tentation de Saint-Antoine) j’étais curieuse. Or ce fut une lecture
plutôt agréable.
Flaubert, jeune homme maladif,
entreprend ce voyage en compagnie de Maxime Du Camp (vous savez, le pote du
magnifique voyage en Bretagne) qui, lui, a déjà voyagé. Un an et demi de voyage :
l’Égypte, le Liban, la Syrie, Constantinople, la Grèce et retour par l’Italie.
Flaubert ne publiera pas de récit de voyage (c’est bien évidemment un genre
dont il se moque). Il prend des notes au crayon sur place de façon plus ou
moins régulière, recopie et met en forme au retour une partie de ses carnets.
Nous n’avons donc pas affaire à un texte régulier. Il y a des trous dans le
récit et certaines parties sont peu couvertes comme Athènes ou l’Italie :
Flaubert ne dit rien de sa vie en Italie, mais se contente de prendre des notes
sur les œuvres vues dans les musées. Les passages les plus intéressants
concernent donc l’Égypte, toute l’Asie mineure et les longues marches dans la
campagne grecque. En outre, il est nécessaire de comparer ce récit à celui de
Maxime Du Camp et à ce que les amis racontent dans leurs lettres (d’où
l’utilité de l’appareil de notes), car ils peuvent se contredirent ou
réinterpréter leurs souvenirs.
Du Camp, photographie du Colosse enfoui du Spéos de Phrè, Nubie, New York, le Met. RMN |
Un mot tout d’abord sur les
aspects pratiques de ce voyage. Les deux amis sont certes de riches occidentaux
qui peuvent s’approprier le pays (les femmes, les jeunes filles, les objets
curieux, une escorte), mais les conditions de voyage restent rudes :
longues chevauchées dans les montagnes, sous la pluie ou sous la neige, nuit
dans le froid avec les puces, eau non potable, passage des gués à cheval… Ces
voyageurs, même privilégiés, endurent des conditions très difficiles, mais
habituelles pour leur siècle. Quand Flaubert prend des notes, il le fait de
façon précise et détaillée, qu’il s’agisse d’un temple égyptien ou d’un paysan
grec. Ces jugements sur les autochtones peuvent choquer par leur dureté, mais
il ne faut pas oublier que Flaubert en fait tout autant avec les Bretons ou les
bourgeois parisiens, c’est sa façon de faire.
Flaubert est un voyageur qui fait
preuve d’une réelle curiosité. Son enthousiasme le plus grand est pour le
Sphinx, les deux amis éprouvent une extase à la limite du malaise :
Il grandissait, grandissait et sortait de terre, comme un chien qui se
lève. Il loue vivement le Parthenon, mais est déçu par Jérusalem, une
ville salle et abandonnée, sans rien de mystique. C’est d’ailleurs un homme
souvent mélancolique, qui confronte son imaginaire orientaliste et son
bric-à-brac d’images pittoresques à une certaine réalité (odalisques, femmes
voilées, derviches, dromadaires).
Flaubert, comme d’autres hommes
du XIXe siècle (comme Renan), ressent une grande émotion pour les paysages
grecs, qu’il découvre en plein hiver. Tout cela a quelque chose de déjà
vu, on le retrouve, il vous semble qu’on se rappelle de très vieux
souvenirs. Voyager, c’est visiter ses souvenirs de lecture et d’étude,
renouveler ses rêveries sur un monde disparu. Aller en Grèce, c’est aussi
partir sur les traces de Byron, le modèle de l’écrivain romantique.
Bien sûr, cela ne se lit pas
comme un roman (même un roman de Flaubert). Le texte présente un caractère
énumératif (les temples, les sculptures, les bas-reliefs) qui lasse et qui est
heureusement interrompu par des descriptions plus intéressantes.
Réflexion : les temples égyptiens m’embêtent profondément.
J’avais déjà eu l’occasion de
noter le goût véritable de Flaubert pour la Méditerranée (notes sur Gênes),
pour l’architecture antique, le soleil et la mer bleue – il faut le sortir de
sa Normandie. Ici, il découvre une autre nature et s’acharne à décrire (sans
doute pour garder en mémoire) chaque paysage. Il est particulièrement attentif
aux couleurs et aux lumières du soleil, du ciel, des ombres, des eaux, de la
végétation, du relief. Ses descriptions sont d’une réelle beauté, tout en étant
apparemment d’une froide précision.
Singulière transparence des couleurs – la route en sable est vermeille, textuellement, et toute la plaine grise illuminée d’une teinte d’or très pâle.
Clins d’œil
Tout comme Marcel, Gustave
éprouve les plus grandes difficultés à quitter sa mère et cultive l’art d’être
déçu par un paysage qu’il a longuement rêvé. Aucune des émotions prévues
d’avance ne m’y est encore survenue. Enfin, le passage par le site de
Baalbek en Syrie fait irrésistiblement penser à l’église persane de Balbec –
faut que je relise Proust.
Soleil, liberté, large horizon,
odeur de varech. De temps à autre la pente se retire et le chemin, tout à coup
devenu bon, se promène au petit trop entre des pins-arbrisseaux qui forment
comme des bosquets ; le paysage entier est d’un calme, d’une dignité
gracieuse, il a le je ne sais quoi antique, on se sent en amour. J’ai eu envie
de pleurer et de me rouler par terre ; j’aurais volontiers senti le
plaisir de la prière, mais dans quelle langue et par quelle formule ?
Avec quelques-unes des photographies
prises par Maxime Du Camp durant le voyage.
Je vais d'abord finir les romans du monsieur avant de passer à ça !
RépondreSupprimerÇa se lit nettement moins bien que ses romans en plus. Personnellement je l'ai lu à raison de quelques pages chaque soir pendant plusieurs mois. Et il ne faut pas hésiter à trier entre les passages qui intéressent plus ou moins.
SupprimerJe suis fascinée par les photos!
RépondreSupprimerIl me semble avoir lu un récit de voyage en Bretagne des mêmes amis (moins exotique!)
Du Camp était chargé de prendre des photos (il avait une vague mission de l'Institut). Et oui, le duo est allé en Bretagne, le récit a été publié récemment (= 2-3 ans) au Livre de Poche. J'avais beaucoup aimé ce texte.
SupprimerDans la lignée orientaliste, est-ce que tu as lu Boussole de Mathias Enard ?
RépondreSupprimerMina m'a convaincue de l'acheter il y a quelques jours, je ne l'ai pas encore commencé mais j'aimerais bien avoir ton avis ;)
Je ne l'ai pas lu non et je n'ai pas prévu de le faire. J'avoue un peu de scepticisme sur les orientalistes du XXIe siècle. Mais, de façon parfaitement contradictoire, je lirais bien son précédent avec Michel-Ange à Istanbul.
Supprimerje l'ai dans ma liseuse, je parcours quelques pages à l'occasion
RépondreSupprimerJe l'ai lu comme ça, quelques pages par soir, tranquillement.
SupprimerUn carnet de voyage qui a l'air intéressant.
RépondreSupprimerUn paquet de gros carnets, il faut bien compter 500 ou 600 pages.
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