François Rabelais, Pantagruel, première publication 1532.
À relire – quelle richesse !
Le narrateur, un certain
Alcofribas Nasier, après avoir tracé la généalogie (fantaisiste) des géants,
raconte la naissance merveilleuse du géant Pantagruel, ses études et son tour
des universités, sa rencontre avec Panurge et la guerre qu’il mena à la mort de
son père pour défendre son royaume. Le tout, sans sérieux – ou alors en prenant
le potache au sérieux.
Et il n’est pas facile de parler
d’un tel livre. Je l’avais lu une première fois lors de mes études et je me
souvenais simplement que c’était assez compliqué ( !).
D’un point de vue narratif,
Rabelais se moque visiblement des habituels romans de chevalerie, vies de
saints ou récits héroïques. Le monde merveilleux des géants transforme le roman
en grand récit d’aventures ubuesques : le bébé Pantagruel mange la moitié
de la vache censée le nourrir de son lait, le géant couvre de l’ombre de sa
langue le peuple pour l’abriter du soleil et le narrateur en profite pour
explorer le monde extraordinaire de sa bouche (amateur d’aventures
extraordinaires, il n’y rencontre qu’un vendeur de choux).
Tout ici est ramené à la
dimension scatologique : le géant Pantagruel noie ses ennemis dans
l’urine, engendre des nains en pétant. On mange et on boit beaucoup –
Pantagruel, c’est celui qui a le pouvoir d’assécher le gosier de ses ennemis
qu’il force à boire, lui-même et ses compagnons buvant pour le plaisir. Il faut
également avoir en tête le monde du carnaval : c’est le monde à l’envers,
les papes et les rois ravaudent les chaussettes en enfer.
Rabelais se moque des hypocrites,
du pape qui vend des indulgences, des étudiants qui font le chien savant en
parlant latin, des disputes scholastiques et d’un peu tout le monde. Gargantua,
père de Pantagruel, se réjouit de voir son fils étudier en des temps nouveaux,
il l’encourage à apprendre non seulement le latin et le grec, mais aussi
l’arabe et l’hébreu, à pratiquer la dissection et à apprivoiser tous les
nouveaux savoirs. Ce qui n’empêche pas Rabelais de se moquer de la mode
« à l’antique » et des prétentions au latin ou à la science de tout
un chacun.
Le duo Pantagruel – Panurge est
curieux, car ce roman a en effet deux héros. Pantagruel est à la fois un géant
aimant rire, manger et péter (au minimum), un supposé sage et un prince
responsable du bonheur des peuples et confiant en Dieu comme le montre la
guerre qu’il mène contre Loup Garou. Mais il se choisit comme confident un
homme manipulateur, au langage trompeur, savant dans l’art de la médecine et
pas forcément sympathique.
Mais la véritable héroïne de ce
roman est sans nul doute la langue française. Bien sûr, on ne lit pas vite la
langue du XVIe siècle, malgré les notes, et on est charmé du
changement de sens intervenu pour bien des mots. Rabelais invente toute une
kyrielle de noms propres, ceux des géants et des personnages. Il n’hésite pas
non à placer six pages d’une liste de supposés ouvrages inventoriés par
Pantagruel dont les titres inventés déforment les références érudites de
l’époque vers le bas, le scatologique ou le sexuel ou à faire tenir des propos
totalement absurdes à ses personnages. Ces pages m’ont semblé proprement
surréalistes par leur grande liberté. Elles font aussi irrésistiblement penser
à Arno Schmidt, qui était capable de marier ainsi l’humour le plus gras à la
référence savante la plus pointue.
Ce faict vint à Paris avecques
ses gens. Et à son entrée tout le monde sortit hors pour le veoir, comme vous
sçavez bien que le peuple de Paris est sot par nature, par bequare, et par
bemol, et le regardaient en grand esbahyssement, et non sans grande peur qu’il
n’emportast le Palais ailleurs, en quelque pays a remotis, comme son père
avoit emporté les campanes de Nostre Dame pour attacher au col de sa jument.
Il vint avec ses domestiques. À
son arrivée, tout le monde sortit pour le voir, car vous savez bien que le
peuple de Paris est par nature sot, par bécarre et par bémol (= sur tous les
tons, de toutes les façons – cette expression est superbe !), et le
regardaient avec ébahissement, et non sans craindre qu’il n’emportât le Palais
dans quelque lointain pays, comme son père avait emporté les cloches de
Notre-Dame pour les attacher au col de sa jument.
Or dist Pantagruel :
« De couraige j’en ay pour plus
de cinquante francs. Mais quoy ? Hercules ne aura (= n'osa) jamais entreprendre
contre deux.
- C’est dist Panurge, bien chié
en mon nez, vous comparez vous à Hercules ? Vous avez par Dieu plus de
force aux dentz et plus de sens au cul, que n’eut jamais Hercule en tout corps
et ame. Autant vault l’homme comme il s’estime. »
Vous n’avez pas besoin de
traduction, je pense.
Une lecture qui me rappelle des souvenirs.....
RépondreSupprimerAh ah des souvenirs d'études de lettres peut-être ?
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