Jón Kalman Stefánsson, D'ailleurs, les poissons n'ont
pas de pieds, traduit de l'islandais par Éric Boury, parution originale en
2013, publié en France chez Gallimard.
Un livre fort beau, mais très triste.
Ari revient à Keflavík, petit port en déshérence, sur les
lieux de son enfance. C'est un prétexte pour se plonger dans ses années
d'adolescence, quand tout était encore possible. Et aussi pour remonter le temps
et les générations, à Norðfjörður, auprès des grands-parents d'Ari. Trois
époques s'entrecroisent ainsi et le roman tresse le récit des amours, des
morts, des déceptions et des désillusions. Certains individus, comme le pêcheur
Oddur, prennent une dimension mythique, le poing serré pour affronter la mer et
la vie. Au-delà d'une famille, c'est aussi le portrait de l'Islande, île aux
rochers noirs, au ciel d'hiver, oubliée de tous et de Dieu. Le roman dresse
ainsi la longue histoire de l'Islande : les ports de pêche, la base américaine
pendant la Guerre froide, l'arrivée de la musique américaine, les restrictions
sur l'alcool, l'importance de la poésie dont on n'a pas idée et la malheureuse
place laissée aux femmes.
Puis vient la nuit. Avec sa besace emplie de ténèbres de janvier et d'étoiles qui scintillent comme autant de souvenirs lointains du ciel, elle vient avec les rêves qu'elle distribue en toute justice et en toute injustice. Vient la nuit de janvier, si lourde et si profonde que celui qui s'éveille en son sein et jette un regard au-dehors est persuadé que plus jamais le soleil ne poindra dans cet univers de ténèbres et d'étoiles.
Je n'ai pas retrouvé dans ce roman la magnifique magie d'Entre ciel et terre qui était un livre lumineux où les personnages étaient aussi
bien portés par la mer que par la littérature. La langue de Stefánsson est
toujours aussi belle et puissante, mais l'espoir semble avoir disparu. Le roman
est une longue complainte sur le temps qui passe, sur les amours déçues et
trahies, sur la vie qui abîme les rêves, sur les renoncements inévitables d'une
existence. Ari en proie à ses propres doutes ne cesse de regarder les gens
qu'il croise en se demandant s'ils sont heureux et à quoi tient leur secret.
C'est si vrai ! Je dois avouer que je n'ai pas pu m'empêcher d'être ramenée à
mes préoccupations personnelles et à mes propres doutes sur la manière dont je
mène mon existence. Autant dire que le résultat n'est pas très joyeux.
Carte de l'Islande, XVIe siècle, Paris, Muséum d'Histoire naturelle |
Je suis par ailleurs impressionnée par la densité et la
richesse de la langue et de la narration, qui sont difficiles à réellement
apprécier lors d'une première lecture.
Un mot sur le narrateur qui a une présence troublante.
Omniscient, double d'Ari, mais aussi voix de la conscience des autres
personnages dont il creuse les flancs et les cœurs, il est le poète dont
l'esprit plane sur cette terre désolée. Il raconte la peur de devenir un
mardi sans relief et une Islande réelle, loin des cartes postales
ensoleillées. D’ailleurs, le seul espoir est la présence de cette voix capable
de raviver le souvenir des disparus et de répéter les histoires. Quelle
malédiction quand plus personne ne peut se rappeler de vous !
Mais à quel endroit d'un récit faut-il marquer une pause, combien d'histoires devons-nous raconter, et qu'adviendront les vies que nous laisserons de côté, que nous abandonneront au silence, les condamnerions-nous à une manière de mort ?
Notez enfin que le roman contient un très grand nombre de
références musicales, de Bach aux Beatles, en passant par la pop islandaise.
Elle pleure. Si seulement il avait le pouvoir de
changer ses bras ballants en rames et de se transformer lui-même en barque.
- Margrét, dit-il, la voix si rauque qu'on distingue à peine
le prénom qui se désagrège et ressemble à un grommellement.
Il se racle la gorge et fait une autre tentative, ma
petite Margrét - puis les années passent.
Lu dans le cadre des matchs de larentrée littéraire de PriceMinister.
L’avis de Miss BouquinAix.
Je reviendrai lire ton article quand j'aurai lu le livre ! :)
RépondreSupprimerCurieuse d'avoir ton avis.
SupprimerJ'avais envie de le lire ! Je pense que je vaic commencer par la tristesse des anges, son premier roman
RépondreSupprimerJe ne connais qu'un autre titre, celui qui est cité dans l'article, qui est véritablement magnifique.
SupprimerProposé par mon libraire, son côté triste ne me tente pas.
RépondreSupprimerJe comprends ta réticence (l'ayant expérimenté).
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