Joseph J. Fuller, Le Maître de la Désolation. 35 ans aux îles
Kerguelen (1860-1895), texte édité par Jean Bousquet, traduit de
l’américain par Lucette Laurent Bousquet, jamais édité du vivant de l’auteur,
paru en France chez Ginkgo.
Un livre très intéressant.
Le sous-titre dit presque
tout : Joseph Fuller, capitaine de navire baleinier navigua toute sa vie au
large des Kerguelen. Il faut ajouter qu’il y fit naufrage et dut y demeurer 11
mois avec tout son équipage.
Il s’agit de mémoires, rédigées
après coup, qui racontent plusieurs campagnes de Fuller, depuis son premier
embarquement comme novice jusqu’à sa carrière de capitaine. Il s’agit certes
d’un navire baleinier, où les baleines sont tuées pour leur huile, mais la
chasse est surtout menée contre les otaries, les phoques et les éléphants de
mer, essentiellement pour l’huile et aussi pour les peaux. C’est la fin du XIXe
siècle où les expéditions ont déjà décimé en partie les colonies d’animaux qui
se raréfient. Les campagnes durent entre une et trois années (où l’on apprend
que les contrats de travail de l’équipage ne mentionnent en général pas la
durée du voyage) : les hommes y sont tour à tour marins, chasseurs et préparateurs
des tonneaux d’huile. C’est une vie très dure.
Vue satellite de l'archipel des Kerguelen. Wikipedia. |
C’est un texte très instructif,
car il restitue tout un monde disparu. Cela nous donne tout l’arrière-plan de
romans d’aventures comme Moby Dick,
car Fuller est un auteur d’une extrême précision sur les animaux, les
techniques de chasse, les dangers des écueils et les manœuvres à suivre pour
éviter de prendre des risques – on est loin des romans qui manie un baragouin
de marine à voile pour faire couleur locale. J’ai apprécié notamment toutes les
informations financières sur ce genre de pêche : qui avance l’argent,
comment s’effectue la répartition des recettes, etc. Ainsi, après son premier voyage en tant que novice, Fuller se
trouve devoir 42 dollars aux armateurs et n’avoir rien gagné. Et pendant et
après le naufrage, il est encore question d’argent.
Une grande partie du texte
concerne le naufrage de son navire lors d’une campagne de chasse à l’otarie aux
Kerguelen, ainsi que les mois qui ont suivi. Fuller parvient à rester 11 mois
avec tout son équipage sain et sauf avant d’être récupéré par un navire, malgré
les tensions qui interviennent entre les hommes. Là encore, l’analyse des
relations entre officiers et matelots est très éclairante. Fuller a une
connaissance très intime des Kerguelen : sa géographie, le moindre rocher,
c’est une mémoire visuelle car les cartes ne sont pas à jour. Il est à même de
renseigner ainsi une expédition scientifique. Il a la même connaissance des
plantes et des animaux, des gestes qui peuvent sauver un matelot malade, c’est un
savoir qui devait se transmettre oralement.
J’ai particulièrement apprécié le
récit de la première journée de navigation du novice, avec sa découverte du mal
de mer, du vertige quand il faut monter en haut des mâts. Rien de pittoresque
là-dedans, on n’est pas dans un roman d’aventures. C’est ainsi que l’auteur se
moque de ceux qui s’imaginent que les marins ne mangent que des biscuits de
mer, alors que du pain frais sort tous les jours du four du cuisinier.
Je réussis à atteindre la
bastaque et je m’élançai ensuite dans le gréement. D’enfléchure en enfléchure,
je grimpai jusqu’à parvenir au sommet. C’était la première fois que je montai
dans une mâture. Vous pouvez donc imaginer ce que je ressentais. J’étais
pénétré de terreur. Quand j’arrivai en haut, à destination, je jetai un coup
d’œil en dessous et la vision qui m’apparut me fit trembler comme une feuille.
Le bateau roulait de long en large ; les voiles battaient comme autant
d’horribles vautours ; le gréement sifflait une infernale polyphonie.
Les bastaques et enfléchures sont des câbles et des cordages situés dans le gréement.
Un carnet de bord qui n'a pas été retouché, je crains que ce ne soit rébarbatif, en effet.
RépondreSupprimerCe n'est pas un carnet de bord non retouché, ce sont des mémoires, tout est écrit et même très écrit. On a un récit linéaire, pas des notes.
SupprimerL'extrait est magnifique ! Tout ce qui fait penser à Moby Dick m'interpelle toujours un peu...
RépondreSupprimerDu coup, tu as aimé ou pas finalement, ou seulement partiellement ?
J'ai aimé partiellement : c'est vraiment très intéressant et éclaire les romans d'un nouveau jour, mais je ne sais pas si je le relirai.
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