La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 10 décembre 2015

Car l’Espagne se meurt, car l’Espagne s’éteint !

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838.

Mais c’est une excellente pièce !

J’avais étudié Ruy Blas au lycée (le drame romantique, c’était en première de mon temps) et j’en avais un assez bon souvenir. À la relecture, je trouve que la pièce est vraiment réussie. En tout cas, elle me plaît plus qu’Hernani.

On est au XVIIe siècle, sous Charles II, et l’Espagne ne va pas fort. C’est une époque idéale pour les intrigues, les ascensions des courtisans et les trahisons. Le très horrible Don Salluste veut se venger de la reine et décide d’utiliser à cette fin son valet, Ruy Blas, qu’il va faire passer pour un grand d’Espagne – et plus le valet est amoureux de la reine. La pièce mêle donc intrigue amoureuse entre deux personnes de conditions sociales opposées et fable politique, les personnages très noirs côtoient les innocents et les burlesques.

Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;
Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.

Hugo fait précéder sa pièce d’une préface manifeste sur le drame romantique, que l’on peut choisir ou non de croire. Moi, ce que j’ai aimé c’est le rythme des échanges et de l’action, avec l’alternance de tons, d’espoir et de désespoir. Je ne me souvenais pas que Salluste était si ténébreux ni que le cousin de Salluste était si burlesque. Hernani manquait (à mon sens) d’authentiques méchants et donnait l’impression que les personnages se jouaient à eux-mêmes la comédie du danger. L’incarnation par Salluste rend celui-ci beaucoup plus concret.
 
Juan de Zurbarán, Citrons, vers 1640, Academia de las Bellas artes, Madrid, M&M
 Hugo manifeste, outre son goût pour l’Espagne, son intérêt pour les monarchies déliquescentes, où le faste côtoie le sordide. Le lamento sur la corruption des grands est célèbre ; l’auteur aimait les arènes politiques, celles de son temps et celles du passé (comme 93). La langue navigue entre grandeur tragique, vaudeville et violence triviale. J’avais eu du mal avec le personnage de Charles Quint dans Hernani, mais pour moi la langue d’Hugo avec ses outrances convient bien à un valet contrefaisant le ministre qui investit la langue politique en quelque sorte au premier degré, prenant au sérieux le travail de réforme, et à Salluste, qui intrigue dans l’ombre.


Invente, imagine, suppose.
Fouille dans ton esprit. Cherches-y quelque chose
D’étrange, d’insensé, d’horrible et d’inouï.
Une fatalité dont on soit ébloui !
Oui, compose un poison affreux, creuse un abîme
Plus sourd que la folie et plus noir que le crime,
Tu n’approcheras pas encor de mon secret.
-       Tu ne devines pas ? – Hé ! qui devinerait ? –
Zafari ! dans le gouffre où mon destin m’entraîne
Plonge les yeux ! – je suis amoureux de la reine !

Difficile de ne pas penser à La Folie des grandeurs tout au long de la lecture. Notons que le film présente de très nombreuses allusions au texte hugolien, amusez-vous à les traquer !




12 commentaires:

  1. Oh oui oh oui, un trèèèèèèès bon texte !!!

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  2. Je crois que j'ai aussi préféré Ruy Blas à Hernani^^
    Les passages que tu cites sont très beaux, je les ai adoré aussi. C'est à la lecture de ces vers amoureux que j'ai commencé à apprécier cette lecture à sa juste valeur. :)

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  3. Contrairement à toi, je préfère Hernani à Ruy Blas, mais je ne les ai pas lus plusieurs fois, peut-être qu'après plusieurs lectures, ce serait différent :-)

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    1. Je connais mieux Ruy Blas, peut-être à cause du film, c'est peut-être ça.

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  4. mais oui! Une pièce qui passe toujours très bien aujourd'hui!

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  5. Merci pour ton billet. Tu as raison Ruy Blas est un vrai méchant qui s'apparente au traître de mélodrame alors que dans Hernani, le roi aussi bien que Don Ruy Gomez,le tuteur de Dona Sol, sont moins noirs. Don Carlos parce qu'il sait pardonner et se placer au-dessus des mesquineries de l'existence ressemble plus à un personnage de tragédie classique (à la Corneille). Don Gomez, jaloux, cruel, sans pitié, est pourtant horrible puisqu'il cause la mort des amants mais ce vieillard capable d'éprouver une telle passion nous paraît humain par ses faiblesses mêmes.

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    1. Oui, Hernani m'a énervée car c'est toujours un peu ci, un peu ça, mais pas de façon vraisemblable.

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  6. avec un peu de retard je suis dedans, le billet quand j'aurai fini, mais pour moi, Don Salluste a la tête de Louis de Funès

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