La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 12 janvier 2016

Je persécute les métaphores, et bannis à outrance les analyses morales.

Michel Winock, Gustave Flaubert, 2013, Gallimard.

Mon tour de l’œuvre du grand Gustave s’achève par la lecture de cette biographie. Michel Winock est historien, spécialiste d’histoire politique et sociale et surtout de l’histoire des intellectuels au XIXe siècle. Lire cette biographie, c’est se plonger dans une époque. Car, contrairement à beaucoup de gens, je n’ai pas de goût pour les biographies romantiques, j’aime les notes de bas de page et les archives – on n’oublie pas si facilement ses années de thèse.

Bref, je ne vais pas vous raconter la vie de Flaubert, mais simplement parler de quelques faits saillants.
J’ai d’abord apprécié de connaître la chronologie d’écriture des grands romans : Flaubert a mis tellement de temps à les écrire, que je ne savais plus très bien quel était leur ordre et leur progression. Winock, grâce à la citation de correspondances, explique très bien la démarche d’un auteur tendu entre sa culture irrémédiablement romantique, qui le pousse à écrire des flots de mots, et sa volonté du mot juste et de l’art qui le contraint à couper, à élaguer drastiquement. De nombreux textes semblent ainsi un combat entre ces deux pôles. Bien sûr, Winock fait partie de ces historiens qui évitent au maximum d’exprimer tout jugement de valeur ou esthétique sur les œuvres et cette attitude est source d’insatisfaction.
Comme souvent à la lecture d’une biographie, j’apprécie de voir replacé un auteur parmi ses contemporains : le rapport compliqué à Hugo, les hésitations de Sainte-Beuve, les frères Goncourt à double face, la très belle amitié avec George Sand, l’amitié avec Tourgueniev qui lui fait découvrir la littérature russe. Plus généralement, le rapport qu’entretien Flaubert avec ses contemporains est complexe. Il n’aime pas son temps, mais en est un très bon représentant. Winock montre l’écrivain célèbre se rendant dans les cafés et les restaurants à la mode, portant une grande attention aux jeunes auteurs.

E. Giraud, Gustave Flaubert, 1860, BNF, RMN.
Et l’ermite de Croisset ? Ce sont sans doute les pages où Winock est le plus intéressant. Ces pages font aussi curieusement écho à l’actualité. Flaubert n’aime pas son époque, trouve les hommes politiques médiocres, se plaint de la bêtise universelle, mais refuse le combat et trouve refuge dans les livres et l’écriture. La tentation du bonheur individuel et la volonté de tracer sa propre voie à l’écart du monde conduisent à Flaubert à ne pas toujours bien comprendre son temps. Flaubert est un ennemi de la culture de masse et entretient un rapport ambigu au public. Le XIXe siècle est un siècle de transformation du lectorat, de l’édition, avec une extension du public, alors que les artistes se considèrent encore comme des aristocrates. Winock cite souvent à ce propos avec beaucoup de justesse Tocqueville et son analyse de la société démocratique.
Plus généralement, cette biographie permet d’en savoir plus sur la boulimie de savoir, le mélange de grivoiserie et de pudeur, sur la riche personnalité de Louise Colet et sur beaucoup d’autres choses.

Maxime Du Camp : « Il était d’une beauté héroïque. (…) Avec sa peau blanche, légèrement rosée sur les joues, ses longs cheveux fins et flottants, sa haute stature large des épaules, sa barbe abondante et d’un blond doré, ses yeux énormes, couleur vert de mer, abrités sous des sourcils noirs, avec sa voix retentissante comme un son de trompette, ses gestes excessifs et son rire éclatant, il ressemblait aux jeunes chefs gaulois qui luttèrent contre les armées romaines. »

Flaubert sur le blog :
Madame Bovary que j’aime beaucoup, notamment pour la langue.
L’Éducation sentimentale que j’aime beaucoup aussi même si certains passages sont d’un ennui mortel et que les analyses politiques m’échappent un peu. Un livre à l'incroyable ironie (Winock montre bien que cette ironie a d'ailleurs gêné les lecteurs contemporains).
Salammbô que je n'aime pas tellement mais dont j'ai noté plein de citations.
Trois contes : Un coeur simple plein d'affection pour son sujet, La Légende de saint Julien l'Hospitalier qui ne me plaît pas et le très  bizarre Hérodias.
La Tentation de saint Antoine : texte savant et théâtral, invraisemblable.
Voyage en Orient : pas évident à lire, mais certains passages sont magnifiques.
Notes d'un voyage en Provence et en Italie qui vaut comme une curiosité et qui nous en dit beaucoup sur l'homme.


4 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Traumatisée par "L'éducation sentimentale" que j'ai étudié 3 ans de suite pendant mes études littéraires.
"Salaambô" et "Madame Bovary", deux morceaux de choix !
Je n'aime pas les biographies d'auteur, ça m'ennuie mortellement !

nathalie a dit…

En ce qui concerne les biographies, c'est assez variable, selon les personnalités et le talent des biographeurs. Il y a quelques années, je n'en lisais aucune, je ne voyais pas l'intérêt, mais à présent certaines me font envie... indécrottable goût pour l'histoire.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Pas fan de biographie non plus. Je préfère généralement les oeuvres des auteurs à leur vie.

nathalie a dit…

C'est également mon cas en général, mais il y a quelques exceptions.