Honoré de Balzac, Le Chef d’œuvre inconnu, 1831,
retravaillé en 1837.
Ma troisième lecture du Chef d’œuvre inconnu, un des textes les
plus forts de Balzac, avec La Peau de
chagrin pour moi. En 1612, un jeune peintre inconnu nommé Nicolas Poussin
pousse la porte de Porbus, le grand peintre de Marie de Médicis complètement
oublié aujourd’hui. Il y rencontre un vieillard, un peintre mystérieux, qui
prétend lutter avec la vie même dans une toile représentant une femme.
Cette fable raconte les mystères
impossibles de l’art et les affres de la création, les doutes et les obstacles
qu’un créateur (y compris écrivain) rencontre sur sa route. Elle illustre aussi
la naissance de la peinture française, entre l’Italie et les Flandres. C’est
surtout une vision très romantique de la peinture, qui est forcément la peinture
d’une femme nue (« what else ? »
a-t-on envie de dire). Balzac qui connaît la peinture à travers la lecture de
dictionnaires biographiques parle du mythe de l’artiste, alchimiste, savant et
fou tout à la fois, aux marges des normes morales de la société, nécessairement
incompris. Ce court texte possède une véritable puissance. Les effets de
suspense y sont très réussis et les personnages sont animés par la passion de l’art.
Le jeune homme éprouvait cette
sensation profonde qui a dû faire vibrer le cœur des grands artistes, quand, au
fort de la jeunesse et de leur amour pour l’art, ils ont abordé un homme de
génie ou quelque chef d’œuvre.
Picasso, Étude pour L'Enlèvement des Sabines d'après Poussin, 1962, Paris, Musée Picasso, RMN. |
Le volume édité par Folio
rassemble d’autres nouvelles, toutes placées sous le signe du pittoresque, à
tous les sens du terme. Ces nouvelles ont aussi en commun d’employer un grand
nombre de mots anciens ou tourangeaux, tout à fait disparus ou inconnus du
français, de traduire un goût pour le roman historique, notamment pour la fin
du Moyen Âge, une période où tout semble possible pour le bourgeois
Balzac : les coups de force, les miracles, les amours cachées, les
personnages hors normes… Il se laisse aussi aller à son goût pour les décors
riches et inattendus et les costumes rares et précieux.
Les notes sont d’Adrien Goetz,
historien de l’art, ce qui apporte quand même un vrai plus – on y apprend que
Picasso a occupé le grenier supposément occupé par Porbus. Picasso et Poussin
peuvent donc se croiser dans l’escalier, au moins en imagination.
L’Elixir de longue vie, 1830.
Nous voici à Ferrare, il y a
quelques siècles, dans un riche palais. Cette fable semble raconter la
naissance de don Juan, celui qui a été immortalisé par tous les créateurs. La
fin est remarquable, maniant l’or, la religion et le grotesque – c’est un vrai
film fantastique.
L’Auberge rouge, 1831.
Cette nouvelle qui est dans le
ton d’un conte allemand croise certains personnages du Père Goriot. C’est à la fois un récit cruel et angoissant et un
conte moral – que va décider le narrateur ?
Maître Cornélius, 1831.
Nous voici à Tours, en 1479, au
siècle de Louis XI. C’est l’histoire d’un amour adultère qui nous permet
d’entrer chez le redoutable Maître Cornélius, banquier flamand, espion du roi,
avare cruel. Là encore, la nouvelle prend des accents fantastiques tout à fait
saisissants.
Les luminaires de chaque autel et
tous les candélabres du chœur étaient allumés. Inégalement semées à travers la
forêt de piliers et d’arcades qui soutient les trois nefs de la cathédrale, ces
masses de lumière éclairaient à peine l’immense vaisseau, car en projetant les
fortes ombres des colonnes à travers les galeries de l’édifice, elles y
produisaient mille fantaisies que rehaussaient encore les ténèbres dans
lesquelles étaient ensevelis les cintres, les voussures et les chapelles latérales,
déjà si sombres en plein jour. La foule offrait des effets non moins
pittoresques. Certaines figures se dessinaient si vaguement dans le
clair-obscur, qu’on pouvait les prendre pour des fantômes ; tandis que
plusieurs autres, frappées par des lueurs éparses, attiraient l’attention comme
les têtes principales d’un tableau. Les statues semblaient animées, et les
hommes paraissaient pétrifiés. Çà et là, des yeux brillaient dans le creux des
piliers, la pierre jetait des regards, les marbres parlaient, les voûtent
répétaient des soupirs, l’édifice entier était doué de vie.
Poussin, Deux chevaux cabrés, lavis, Chantilly, Musée Condé, RMN. |
Un drame au bord de la mer, 1834.
Cette nouvelle se déroule sur les
côtes bretonnes. Un jeune couple d’amoureux découvre les joies du rivage et
celle des bains de mer, la fascination pour l’océan, à la fois vide et puissant
(c’est tout nouveau à l’époque de Balzac !). Mais ils découvrent également
la vie misérable des pêcheurs d’à côté et surtout d’une famille. Le récit est
très documenté et donne une très belle vision de la région. Un beau récit.
Facio Cane, 1836.
Une nouvelle inspirée de Venise
et de certains exploits du jeune Canova. Là encore, de l’or et du mystère, de
l’aventure par dessus tout.
Pierre Grassou, 1839.
Cette nouvelle se veut le
panorama de la vie artistique – forcément bourgeoise et médiocre – sous la
Restauration. Le héros, Pierre Grassou, vient de Fougères (ville bien aimée de
Balzac, c’est le lieu des Chouans).
C’est un peintre médiocre, incapable de création et de génie, mais bien propre
sur lui et promis à un grand succès dans une telle société. Ce récit très
travaillé et soigné est empreint de beaucoup d’ironie pour Grassou, ceux qui
l’entourent et plus généralement pour toute la société, mais aussi d’affection
pour ce héros qui est bon camarade. Tous les peintres de la Condition humaine sont réunis là dans
une belle évocation.
Les allures du Génie avaient
ébouriffé ces bourgeois, si rangés.
Sur Balzac et les arts.
Destination PAL – la liste de lecture. J'attaque donc la lettre "B".
"Le chef d’œuvre inconnu" est un de mes textes préférés de Balzac également ! Avec "Eugénie Grandet" et "Le père Goriot".
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup la Peau de chagrin et Eugénie également, mais ce sont les premiers textes que j'ai lus de lui, ça joue peut-être.
SupprimerProbablement !
Supprimer