Svetlana Alexievitch, La Supplication, traduit du russe par
Galia Ackerman et Pierre Lorrain, publication originale 1997.
10 ans après Tchernobyl.
Le livre commence par trois pages
de chiffres – les seuls qui sont avérés. Un Biélorusse sur cinq vit dans une
région contaminée, dont 700 000 enfants. Et ensuite commencent les témoignages.
Le premier est le plus dur à lire, il semble que l’on ne pourra pas poursuivre
jusqu’au bout. C’est celui de la femme d’un de ces pompiers envoyés pour
éteindre l’incendie ce jour-là. Le récit de sa mort est terrible. Cet homme,
devenu un objet radioactif, peut contaminer tous ceux qui l’approchent, sa
femme en premier et ensuite, même mort, il continue à être dangereux.
Il avait fallu également couper l’uniforme, car il était impossible de le lui enfiler, il n’avait plus de corps solide… Il n’était plus qu’une énorme plaie… Les deux derniers jours, à l’hôpital… Je lui ai soulevé le bras et l’os a bougé, car la chair s’en était détachée…
Alexievitch a recueilli les
récits de liquidateurs intervenus immédiatement après, ou de leurs proches, de
voisins qui ont été déplacés, de ceux qui vivent clandestinement dans la zone
interdite, de militaires ou de scientifiques, de membres ou non du parti. Car
c’est tout un pays qui a été touché, les adultes, les enfants, les vaches, les
chats, le lait, l’air, l’eau, tout est empoisonné. On a la sensation de
dirigeants totalement dépassés par la situation – puisque pour une fois Moscou
ne sait pas quoi faire. Impossible en effet de séparer Tchernobyl de la fin du
régime soviétique et du modèle de société qui a depuis disparu. C’est tout un
système qui se défait, avec l’impossibilité de prendre des responsabilités ou
de désigner des coupables, l’armée omniprésente, le mensonge dans la presse.
Cody Choi, Autoportrait, collection privée. |
J’ai été frappée aussi par
l’omniprésence de la guerre. La plupart des témoignages commencent par parler
des combats de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire. Les plus jeunes
font allusion à l’Afghanistan, mais l’idée est que l’URSS était sur-préparée à
une attaque ennemie, mais absolument pas à un danger technique sans ennemi. Cette
culture de la guerre explique l’obéissance et le sacrifice de tous ces héros de
la nation, qui en sont morts.
La société rejette ceux qui ont
été irradiés par crainte de la contamination. Les habitants de Tchernobyl
notent que les hannetons ont disparu. Un scientifique souligne que la
nourriture n’est plus de la nourriture, mais un déchet radioactif, tout comme
la terre, qu’il faut enterrer.
Un texte salutaire, mais
bouleversant, à la limite du supportable, vous l’aurez compris.
Nous sommes retournés chez nous.
J’ai enlevé tous les vêtements que je portais et les ai jetés dans le vide-ordures.
Mais j’ai donné mon calot à mon fils. Il me l’a tellement demandé. Il le
portait continuellement. Deux ans plus tard, on a établi qu’il souffrait d’une
tumeur au cerveau… Vous pouvez deviner la suite vous-même. Je ne veux plus en
parler.
Quel contraste avec le vide de la
jeunesse de Slavoutytch dont j’ai parlé récemment ici ! C’est ma deuxième lecture d’Alexievitch, car j’ai déjà loué ici La Fin de l’homme rouge. Me voici prête à lire la BD
d’Emmanuel Lepage qui est adaptée de la Supplication.
L’avis de Joëlle.
Une très grande écrivaine, elle méritait pleinement son prix Nobel. Je te conseille aussi "La guerre n'a pas un visage de femme" qui m'a donné la chair de poule du début à la fin. Je vais lire La supplication un jour c'est sûr, en plus je l'ai chez moi !
RépondreSupprimerJe l'ai découverte avec la Fin de l'homme rouge, qui m'avait impressionnée aussi par la diversité des personnes qui témoignaient, ce qui donnait un panorama riche et contrasté.
SupprimerJe viens de le lire aussi, après avoir également découvert La fin de l'homme rouge, et ai été également touchée par ces témoignages édifiants de simplicité. Svetlana Alexievitch, en laissant la parole à ses "personnages", nous donne le sentiment de toucher du doigt quelque chose de profondément humain ...
RépondreSupprimerOui, tout à fait !
SupprimerDe mon côté j'ai lu la BD "Un printemps à Tchernobyl" d'Emmanuel Page. Puis tout récemment"86, année blanche" de Lucile Bordes. Les deux citant "La supplication" je l'ai noté et j'ai très envie de le lire, même si le côté i soutenable m'effraie un peu (dans un tout autre genre, la lecture de "Si c'est un homme" avait déjà été un calvaire, fort en émotion).
RépondreSupprimerTous les témoignages ne sont pas aussi violents, mais pour le coup l'expression "un livre qui ne vous laisse pas indemne" est justifiée.
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