La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 31 octobre 2016

Je souhaitais que mon père fût un diable de l’enfer.

Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, traduit de l’américain par Isabelle Stoïanov, publication 1960.

J’étais pleine de préjugés, mais je me suis régalée !

Scout, petite fille vivant dans l’Alabama des années 30, raconte – si l’on en croit la première phrase – les circonstances qui ont mené à ce que son frère ait le bras cassé. Mais ce n’est pas vraiment de cela dont il s’agit. Elle remonte deux ou trois ans avant les faits, quand son frère et elle craignaient de s’aventurer près d’une maison hantée, et quelques mois auparavant quand son père avocat est commis d’office pour défendre un noir accusé du viol d’une blanche.

À Maycomb, si l’on sortait se promener sans but précis, on passait pour n’avoir pas le cerveau très précis non plus.

La grande force de ce livre réside dans sa narratrice et sa narration. Le récit est mené a posteriori par une enfant ou une adolescente, qui passe d’un épisode à l’autre sans forcément expliquer au lecteur ce qu’elle-même ne comprend pas, qui intercale ses soucis d’enfant avec ceux de son père et qui semble plus raconter ses années d’enfance qu’un épisode de la lutte pour les droits civiques.
Photos de l'exposition Colour Line qui se tient au Quai Branly.
Il est très plaisant de suivre les enfants dans leurs jeux, dans les histoires qu’ils se racontent au sujet d’une maison hantée, leurs désobéissances, leur vie en cachette des adultes (le roman se situe tout à fait dans la digne suite de Tom Sawyer sur ce point). Tandis que le grand frère devient peu à peu un adolescent, une tante entreprend des efforts pour faire de la petite fille bagarreuse une dame. L’histoire que le lecteur attend, celle dont il a entendu parler, arrive doucement, par inadvertance : on a appris que l’avocat a été commis d’office. Peu à peu le procès à venir va prendre de plus en plus de place dans le récit et contaminer l’ensemble du roman avant que la petite ville ne se rendorme comme avant (ou presque).

Excellente expo, il faut y aller !
L’autre réussite réside dans la complexité des personnages qui évoluent au fil des pages et des événements. Les enfants ont des positions ambiguës vis-à-vis des noirs, puisqu’ils ont les préjugés propres à leur temps tout en recevant les leçons de leur père qu’ils comprennent plus ou moins bien. J’ai été intéressée également par la tante Alexandra qui apparaît tout à bord comme une femme rigide, mais qui montre à Scout quelle utilité cela a d’être une « dame » quand on doit vivre en société.
Le point gênant est la vision du viol qui est donné par le roman, même si elle est malheureusement réaliste et s’intègre parfaitement dans l’ensemble.
J’ai noté également l’importance des différences de langue entre la famille de Scout, les blancs pauvres au vocabulaire limité, les noirs entre eux et les noirs parlant au sein des familles blanches. Le roman fait entendre ces distinctions sociales.

- Tu défends les nègres, Atticus ? lui demandai-je le soir même.
- Bien sûr. Ne dis pas « nègre », Scout, c’est vulgaire.
- Tout le monde dit ça, à l’école.
- Désormais, ce sera tout le monde sauf toi…
- Eh bien, si tu ne veux pas que je parle de cette manière, pourquoi m’envoies-tu à l’école ?
Mon père me regarda, l’air amusé.